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RICHARD WAGNER


que je hais, que je maudis ». De nouveau il faut de l’argent, quatre mille thalers. Ah ! que Liszt, son créateur, les donne !… Qu’il comprenne ! « C’est avec une fureur de désespéré que j’ai continué et terminé mon œuvre. Comme j’ai été pris, moi aussi, dans ce filet : la misère de l’or ! Crois-moi, on n’a pas encore composé ainsi. Je m’imagine que ma musique est terrible : c’est un bourbier d’horreurs et de sublimités. » Et pendant qu’il l’abîme ainsi dans sa solitude misérable, on donne à Boston des « Wagner-Nights », les théâtres d’Allemagne font recette avec ces pièces. Et lui, il croupit dans sa pauvreté ! Mais il tiendra bon. Ses Nibelungen le rattachent à l’existence. Eux seuls. Combien il délire maintenant être amnistié, rentrer en Allemagne, y diriger ses œuvres ! « Où donc trouver de l’énergie ? Une volonté réelle ?… Je ne puis rien faire d’autre que créer. » Donc, il crée. Il travaille rageusement. Il lui faudrait un copiste pour mettre au net ses brouillons à mesure qu’ils sont griffonnés, tant son propre crayon lui dévient indéchiffrable. Un secrétaire, à cet homme sans le sou, quel luxe ! Ne se trouvera-t-il pas un mécène ? Un fou ? Avec son aide on pourrait s’offrir la plus belle et la plus raisonnable de toutes les fantaisies : construire un théâtre wagnérien, y jouer Lohengrin. L’Or du Rhin et La Walkyrie, puis l’incendier et jeter les partitions dans le berasier…

Pendant ce temps de fièvre, la paisible vie zurichoise se poursuit à ses côtés. Il lui faut s’arracher à son papier pour diriger quelques concerts, recevoir les amis habituels, tenir tête à Hülsen, l’intendant des théâtres de Berlin, qui ne comprend rien aux exigences techniques de Wagner et de Liszt pour Tannhaeuser et Lohengrin. Il lui faut tenir compagnie à Minna, qui fait une cure au Seelisberg pour sa maladie de cœur, la munir d’argent pour un voyage en Saxe où elle va voir l’ami Roeckel, le révolutionnaire, qui purge sa cinquième année de prison.

Le 28 juin, Wagner entame La Walkyrie, dont le premier acte est achevé au mois d’août. La jolie Mathilde Wesendonk lui donne une plume d’or. « Il me faut mille thalers. À qui me les prêtera, je remettrai consciencieusement une traite de trois mois. » Quelle vanité de « purotin » que la gloire ! Quelle mensonge que l’espérance, « un mensonge qu’on se fait à soi-même ». Le 26 septembre, il terminé la copie très