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RICHARD WAGNER


tout de suite que le motif du prélude de l’Or du Rhin venait de m’être révélé, tel que je le portais en moi, sans être parvenu encore à lui donner sa forme. »

Il revient aussitôt à Zurich « pour crever ou pour composer ». Mais il ne fait ni l’un ni l’autre. Il organise un voyage à Paris avec Liszt. qui doit le rejoidre à Bâle. Et Liszt y vient en effet, avec son amie, la princesse Carolyne, et la fille de celle-ci, Marie. Wagner leur donne lecture de son Siegfried. Et ces dames, mises en goût, lui demandent les Nibelungen tout entiers ; si bien qu’arrivés à l’hôtel des Princes, à Paris on s’enferme des heures durant pour savourer jusqu’au bout cette littérature héroïque. Alors seulement « la capitale reprit ses droits » et les deux amis feuillettent ensemble les souvenirs si différents qui les attachent à cette ville toujours marquée en eux des signes de la fatalité. Pour Wagner, c’est la ville de l’imbécile misére et de l’affranchissement spirituel,|a ville du IIIe acte de Rienzi, du Vaisseau Fantôme, de Lehrs, de Kietz et de la IXe Symphonie. Puis la ville de l’espérance Jessie Laussot et du chassé-croisé avec Minna. Et cette fois-ci que lui réserve la cité de l’imprévu, le riche fief de Meyerbeer dont le nom, une fois de plus, s’étale sur les affiches de l’Opéra ? Robert le Di’able

Rencontre inattendue : les Wesendonk. Mais c’est à peine si l’on s’entr’aperçoit. Le beau visage de Mathilde retourne aussitôt au néant. Quatuor Marin-Chevillard. Impression presque aussi décisive que le fut autrefois la IXe au Conservatoire. « À Paris seulement, écrira-t-il plus tard, j’appris à connaître vraiment le Quatuor en ut dièze mineur, et pour la première fois je compris clairementl sa mélodie. » La très belle amie de Franz, Mme Kalergi-Nesselrode, l’une des élèves préférées de Chopin, invite Wagner à dîner. Chez cette « femme-cygne », excellente musicienne, qui parle de tout admirablement, il n’éprouve que de la fatigue, de l’agacement. Pas un éclair de vrai plaisir. Il est la proie de lui-même. Il voit bien qu’on le trouve insociable, amer, lui qui sait pourtant être gai au point d’éclipser les plus vifs causeurs ; mais tout contact manque entre cette société brillante et cet homme obsédé. « Ta plaie est à jamais incurable », disait Liszt.

Un soir, Franz emmène son ami et la princesse Carolyne chez ses enfants, rue Casimir-Périer, no 6 : deux jeunes filles