d’apprendre — il s’amusa à lui donner quelques leçons de
contrepoint et d’harmonie. Il fallait qu’elle sût composer
« des opéras à la Wagner ». Il fallait que son mari y eût
sa part et apprît à chanter. Toute une initiation musicale
toute une nouvelle philosophie de l’existence se révélaient à
Mathilde depuis qu’était entré dans son cercle d’amis le
compositeur étrange chassé de sa patrie et un peu perdu,
comme elle, dans ce Zurich de bureaucrates. Mme Wagner.
de médiocre santé, restait volontiers chez elle, dans le logement
qu’elle venait d’organiser avec un certain goût au
Zeltweg (Maison Escher)[1]. M. Wagner, qui avait besoin de se
promener, de se communiquer, était un compagnon dont les
visites dans ce grand hôtel luxueux et vide coloraient d’imprévu
les longues journées ennuyeuses. Il lui donna lecture
de ses Trois Poèmes d’Opéra, passa ensuite à ses écrits politiques,
à ses récents essais, joua pour elle les sonates de
Beethoven et détailla au piano les phases des symphonies
qu’il étudiait avec l’orchestre pour les concerts de la Société
de Musique. Elle reçut la confidence, naturellement, du grand
poème des Nibelungen, qu’il avait fait imprimer à une trentaine
d’exemplaires. Il explosa son projet de faire de Zurich
le berceau de son Anneau, d’y édifier sur les plans du fameux
architecte Semper un théâtre d’un style entièrement nouveau.
En attendant que cela devînt possible, une fête de musique wagnérienne eut lieu au théâtre de la ville, sous la direction du compositeur (18, 20 et 22 mai de 1853), après lecture publique de ses Trois Poèmes d’Opéra. Solennité pour laquelle choristes et musiciens arrivèrent en foule d’Allemagne, où la gloire de l’exilé s’étendait, tout en s’enveloppant déjà de l’ombre énigmatique qui n’a pas peu contribué à la rendre attirante aux uns, et à d’autres haïssable. Au cours de ces soirées, Wagner entendit pour la première fois à l’orchestre des fragments de son Lohengrin. La cantatrice Émilie Heim, sa voisine au Zeltweg, chanta la ballade de Senta, du Hollandais. Elle devint dès lors une amie. « Toutes les femmes me
- ↑ La maison existe toujours au Zeltweg, no 13. Elle appartenait en 1853 à Mme Clémentine Stocker-Escher, qui en habitait le Rez-de-chaussée. Elle fit de Wagner un portrait, lithographié par Hanfstaengl, à Dresde