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« OPÉRA ET DRAME » — LE MYTHE D’ŒDIPE


imagination sa palmeraie de métaphores spirituelles et gracieuses où il croit sentir flottler, au delà de notre culture tourmentée, le souverain bien vers quoi tout son être aspire : la paix de l’esprit. Comme il voudrait la saisir, cette main hindoue fine et sèche, qui, posée sur son front, calmerait les folies de son monde intérieur !

L’Anneau du Nibelung est enfin terminé durant l’arrière-automne, ce poëme « qui contient tout ce que je puis et tout ce que je possède ». Il court en donner lecture à ses amis, réunis à cette occasion solennelle chez les Wille, dans leur propriété de Mariafeld.

Le « purement humain » contre le couvention, l’amour contre la société, les sentiments, les instincts, la sensualité dans leur nécessité naturelle, enfin tout l’inconscient de l’individu opposé aux contraintes de la loi (ce bouclier d’une communauté sans entrailles), telle est la clé de voûte de sa cathédrale idéologique. Un monde en guerre contre soi, où la nature, comme l’homme, n’a d’autre fin qu’elle-même, d’autre loi morale que la Nécessité éternelle qui régit l’univers, telle est sa foi. Ou plutôt son manque de foi, son radical athéisme. La seule religion que Wagner admette est le culte de l’humanité. Il est donc naturel que l’Histoire se résume chez lui en une lutte pour la puissance et la domination. Et c’est là le thème principal de l’Anneau. Mais, au sein de cette lutte, l’homme antique surgit, beau et fort, et par l’amour, la pitié, l’innocence, l’égoïsme même, il sanctifie son empire. C’est la transposition wagnérienne du mythe sophocléen d’Œdipe. Étéocle devient Albéric, l’homme qui renonce à l’amour pour posséder l’or et la puissance, le grand maître du mal. Polynice devient Siegfried, le héros naïf et pur, le peuple, type idéal de l’humanité prochaine ; tandis que Créon, métamorphosé en Wotan, voyageur du ciel et de la terre, âme troublée des hommes et des dieux, demeurera toujours partagé entre l’avidité des dominations matérielles et les complications du cœur. Wolan est le lieu même de la tragédie humaine. « Il est la somme d’intelligence du temps présent » Et il s’abîmera un jour sous les ruines du Walhalla pour faire place au Futur.