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« OPÉRA ET DRAME » — LE MYTHE D’ŒDIPE


tout complet, il faut que ces trois drames soient encore précédés d’un grand prologue : L’Enlèvement de l’or du Rhin (plus tard L’Or du Rhin)… Où et dans quelles circonstances une pareille représentation sera-t-elle possible ? Je n’ai point à m’en préoccuper quant au présent, car avant tout je dois exécuter mon grand ouvrage, et, pour peu que je compte avec ma santé, ce travail m’occupera pendant au moins trois ans… Grâce à un heureux changement de fortune survenu dans la famille R(ltter), qui m’est si attachée, je suis tranquille et délivré des soucis matériels ei je pourrai consacrer le temps présent, et même ma vie en général, à mes travaux d’artiste… Maintenant, mon ami, mon frère, je te livre le poëme de mon Jeune Siegfried… Tu auras certainement plus d’une surprise en le lisant : tu seras frappé, entre autres, de la grande simplicité de l’action et du petit nombre de personnages qui figureui sur la scène ; mais imagine-toi cette pièce représentée entre La Walkyrie et La Mort de Siegfried, drames qui ont tous deux une action bien plus compliquée : cette pièce sylvestre, avec sa solitude juvénile et hardie, fera certainement, suivant mon intention, une impression neuve et bienfaisante… »

Et Liszt répond :

« Ta lettre, mon ami merveilleux, m’a vivement réjoui. Tu es parvenu, par les voies extraordinaires, à un but extraordinairement grand… Mets-toi donc à ta lâche et travaille ferme à cette œuvre pour laquelle on pourrait bien fixer le même programme que fixa le chapitre de Séville à l’architecte chargé de construire la cathédrale : « Bâtissez-nous un temple tel que les générations futures devront dire en le voyant que le chapitre était fou d’entreprendre une chose aussi extraordinaire. » Et pourtant, elle fut achevée, cette cathédrale ! »

Waguer entendit cette parole. Mais il laissa encore s’écouler l’hiver et ne se mit à l’ouvrage qu’au printemps suivant. « La nature s’éveille, et je m’éveille avec elle », écrit-il le 25 mars de 1852. Le 4 avril, son prologue est rédigé. Aux premiers jours de mai, il s’installe avec sa femme dans une auberge rurale au-dessus du village de Fluntern, d’où l’on domine la vallée de la Limmatt. Au loin, les Alpes Glaronaises sont encore couvertes de neige. Une fraîcheur et une paix