le développement complet de L’Anneau du Nibelung. L’esquisse
en avait été jetée dès 1848. Mais à présent seulement,
après sa moisson littéraire, les idées musicales et la progression
dramatique de son sujet se sont clairement installées en
lui. Comme Lohengrin et Les Maîtres Chanteurs furent conçus
à Marienbad, ainsi la « Tétralogie » naquit parmi les
compresses et les bains froids de cette petite station thermale
de la Suisse allemande. Et il écrit aussitôt à Liszt :
« J’ai fini par voir clair dans mon projet… Pendant l’automne
de 1848, je commençai par esquisser le mythe complet des
Nibelungen tel qu’il m’appartient à titre de propriété poétique.
Une première tentative, faite pour donner une des catastrophes
essentielles de l’action principale comme drame (séparé)
à jouer sur notre théâtre, fut La Mort de Siegfried.
Après de longues hésitations, j’étais enfin (dans l’automne
de 1850) sur le point d’ébaucher l’exécution musicale de ce
drame, lorsque l’impossibilité, encore une fois reconnue par
moi, de le représenter n’importe où de manière convenable
me détourna de cette entreprise. Pour sortir de cet état d’âme
désespérant, j’écrivis Opéra et Drame. Mais, au printemps
dernier, tu m’as tellement exalté par ton article sur Lohengrin,
que je me remis vite et joyeusement à l’élaboration d’un
drame par amitié pour toi. Je te l’ai écrit à l’époque. Cependant
La Mort de Siegfried restait impossible pour le moment.
Je vis qu’il fallait préparer son apparition par un autre
drame, et c’est ainsi que j’adoptai un plan que je caressais
depuis longtemps : celui qui consiste à faire du Jeune Siegfried
le sujet d’un poème distinct. Ce Jeune Siegfried n’est,
lui aussi, qu’un fragment… Or, d’après la conviction intime
que je viens de me former, une œuvre d’art, et à plus forte
raison un drame, ne peut produire son plein effet que si,
dans les moments importants, l’intention poétique en est complètement
révélée aux sens. Et plus qu’à quiconque il m’est
défendu de pécher contre une vérité par moi déterminée.
Donc il faut que j’expose mon mythe tout entier dans sa signification
la plus profonde, la plus étendue, et dans sa plus
grande netteté artistique, afin d’être entièrement compris…
Mon plan porte sur trois drames : 1o La Walkyrie ; 2o Le
Jeune Siegfried (plus tard Siegfried) ; 3o La Mort de Siegfried
(plus tard Le Crépuscule des Dieux). Pour donner le
Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/214
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RICHARD WAGNER