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RICHARD WAGNER


maux domestiques demeura longtemps le lien cordial de leur existence conjugale. « Ah ! si je pouvais exprimer tout ce qui est mort pour moi dans cette chère créature ! » Il semble que chaque œuvre nouvelle doive être payée par quelque deuil du cœur. Même ce petit cadavre en est un. Toutes les œuvres de Wagner sont liées à son drame intime, à ses colères, à ses révoltes. Chacun de ses ouvrages est une autobiographie. Et c’est par là qu’ils conservent cet accent pathétique qui nous les rend — suivant ce que nous sommes — si proches ou tellement étrangers

Comme dans l’« Œuvre d’Art de l’Avenir », Wagner, dans Opéra et Drame, commence par un exposé historique de l’opéra, et même de la musique, dont les limites s’arrêtent au drame. Car, si l’on excepte Mozart, l’opéra d’autrefois, fabriqué pour le dilettante opulent, n’est qu’un vol fait au peuple pour isoler des « mélodies agréables à l’oreille, qu’on chante on ne sait pourquoi, qu’on remplace aujourd’hui par celles d’hier et qu’on oubliera demain, encore sans savoir pourquoi ». Ainsi la mécanique de l’opéra fut découverte par Rossini, encouragée par les instrumentistes, les chanteurs, le librettiste même, dont l’habileté trouvait à se faire applaudir dans de simples concours de virtuoses. Mais du même coup l’opéra épuisa ses ressources, et il serait mort aussitôt si le divertissement de la caricature n’eût poussé quelques décadents à tirer parti de ses ruines. Il fallait une restauration totale de l’art musical ; elle ne pouvait se produire que dans ses racines nationales, dans sa sève même, par l’intimité douce de la nature. Weber en fut le jardinier génial. Hélas, lui aussi tomba dans l’erreur en voulant faire avec le drame une mélodie absolue. Après sa mort, l’opéra fut soumis au triumvirat du négociant en « airs », du librettiste et du costumier, unis pour le seul amusement des barbares jusqu’à faire du théâtre une église. La musique métaphysique fut créée, un jargon où tous les styles s’entremêlèrent, du style historique et hystérique au néo-romantique. On vit alors « celui qui n’a pas de langue maternelle », le juif Meyerbeer, à l’écoute des sirènes rossiniennes, réunir « en une phrase monstrueusement mélangée », toutes les mélodies qui flottaient sur la France et l’Italie, et les emporter dans un bruit éclatant. En résumé, la musique d’opéra n’est plus