Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
191
« OPÉRA ET DRAME » — LE MYTHE D’ŒDIPE


Mais cette responsabilité sérieuse, Wagner l’assume evec gaîté.

L’hiver fui consacré à instituer, dans Zurich et Saint-Gall, de bons concerts d’orchestre. Wagner ne s’était pas trompé : Bülow se montra tout de suite un chef d’orchestre sensible, consciencieux et de veleur. Mais il fallut toute l’énergie de Wagner pour imposer aux instrumentistes ce kappelmeister-enfant. Lorsqu’il eut dirigé le Barbier et Fra Diavolo, Bülow fut nommé à Saint-Gall, puis, à la demande de sa mère, et parce qu’il s’en sentait la vocation, il rejoignit Liszt à Weimar pour étudier le piano sous sa direction et devenir bientôt un maître (Liszt dira de lui moins de deux ans plus tard : « Je ne le considère pas comme mon élève, mais plutôt comme mon héritier et mon successeur. » ) Dès lors Wagner se retrouva seul, et pour satisfaire aux demandes qui lui venaient de toutes parts, il se chargea de plusieurs concerts de le Société de Musique. C’est ainsi qu’il conduisit la Symphonie en ut mineur, l’Eroïca, et que Bülow fit, sous son patronage, un éclatant début de pianiste dans l’ouverture de Tannhaeuser, transcrite pour le piano par Liszt. Cette révélation nouvelle de Bülow virtuose remplit Wagner d’étonnement. L’enfant Hans n’était déjà plus. L’homme venait de naître ; l’ami aussi, celui sur qui l’on peut compter parce qu’il est digne de résoudre avec vous le problème de l’art et de la destinée.

Or, pour Wagner, son art lui est encore à lui-même une énigme. Il n’a fait que l’énoncer dans Tannhaeuser et Lohengrin ; et ce qu’il en a expliqué dans ses écrits, il se réserve de le démontrer plus tard sous une forme musicale grandiose. Mais, comme toujours, littérature d’abord. Ainsi s’entassent sur sa table, durant quatre à cinq mois, les pages de son plus importantl essai : Opéra et Drame. L’ayant achevé, il écrit à Uhlig, son ami de Dresde, le 16 février de 1851 : « Cher ami, tu as ici mon testament ; je puis mourir maintenant, et ce que je pourrai encore réaliser me semble un luxe inutile. Les derniers feuillets de cette copie, je les ai écrits dans un état d’esprit dont il me serait impossible de donner une idée nette à personne. » C’est que Papo, le perroquet, est mort. Malade depuis quelque temps, il gisait sur le plancher le lendemain du jour où le manuscrit fut terminé. Coup « fatal » car l’affection que Richard et Minna portent à leurs ani-