Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
189
« OPÉRA ET DRAME » — LE MYTHE D’ŒDIPE

« Je m’y conformerai avec respect et amitié », répondit son aîné.

La « première » de Lohengrin eut donc lieu le 28 août de 1850. Elle obtint un succès considérable. Pendant ce temps, Wagner, pour calmer ses nerfs, fit en compagnie de sa femme et de Natalie, l’ascension du Rigi. Puis ils passèrent la soirée à l’hôtel du Cygne, à Lucerne. Le compositeur y suivit en esprit et dans un complet isolement moral, le développement de son œuvre sur le théâtre grand-ducal. Et c’est ainsi que fut donné sans lui le plus pessimiste de ses ouvrages, celui qui symbolise le mieux son histoire même : la tragédie des solitudes de l’artiste dans le monde moderne. Il ne devait entendre son œuvre que beaucoup d’années plus tard. Ses jeunes amis y assistèrent à sa place : Karl Ritier, Hans de Bülow, quelques étrangers venus à Weimar pour les fêtes commémoratives de Herder, organisées par Liszt, entre autres Jules Janin, Gérard de Nerval et Meyerbeer. Aussi la gratitude de Wagner envers Liszt déborde-t-elle d’effusions lyriques. « Le bonheur de t’avoir trouvé me fait oublier que je suis banni d’Allemagne ; que dis-je ? Je bénis presque mon exil, car jamais je n’aurais pu entreprendre ce que tu arrives à faire pour moi. » Toutefois, la représentation n’ayant pas été sans défauts, au dire de Ritter, Wagner écrit vingt pages à Liszt pour expliquer sa thèse sur la musique dramatique, où « chaque mesure doit se justifier en exprimant une idée qui se rapporte à l’action ou au caractère du personnage ».

Mais Liszt ne se laisse point démonter. « Votre Lohengrin. lui écrit-il, est un ouvrage sublime d’un bout à l’autre ; les larmes m’en sont venues en maint endroit. Tout l’opéra est une seule et indivisible merveille. » Il envoie de l’argent à son ami, puisé dans ses propres fonds, bien qu’il prétende l’avoir reçu en avance sur les droits d’auteur. Il écrit sur Lohengrin, comme il l’a déjà fait sur Tannhaeuser, un article important. Il désigne au monde, d’un doigt prophétique, « ce nouveau nom glorieux » qui prouve, que la chaîne n’est point rompue des grands hommes dont Weimar s’est fait une si rare parure. Et cette fois Wagner esi décidément conquis par cet ami « extraordinaire et charmant ». Il est atteint en cette région du cœur où la critique n’a plus de prise. Aussi, lorsque Liszt décrie : « À quand Siegfried », est-ce là pour