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ZURICH — « ART ET REVOLUTION »


ple que Jessie fût traitée comme une enfant. Un peu de littérature, quelques soirées de musique et de rapides baisers avaient épuisé ses curiosités amoureuses. Elle était faible. Elle ne savait rien sacrifier puisque, auprès de son sacrifice à lui (quinze ans de luttes et de jalousies conjugales) elle ne pouvait mettre en balance qu’une année de fade médiocrité. Pour quoi prendraient-ils tous deux au tragique ce qui n’était, en somme, qu’une fantaisie, un voyage manqué ? »

Wagner revint donc à l’hôtel Byron, où il fêta le trente-septième anniversaire de sa naissance, entouré de ses sœurs et de la mère de son ami Ritter. Cette vieille dame généreuse avait foi dans la destinée du musicien ; elle lui vint en aide, souvent. Ils partirent ensuite, Karl et lui, pour Zermatt, où ils s’ennuyèrent. Puis ils s’installèrent pendant quelque temps à Thoune. Karl y reçut de Jessie Laussot une lettre où elle exprimait son indignation sur la conduite de son amant, car elle continuait à tout ignorer de sa venue à Bordeaux. Elle garerait désormais un silence d’une année. Une année ! « Je ne suis plus assez jeune maintenant pour vivre d’espoir », répliqua-t-il aussitôt à Mme Ritter. qui cherchait encore à le rassurer. « Dans un an ! Dieu du ciel, n’avons-nous pas tous assez d’expérience pour savoir cs que c’est qu’un an ? »

Mais ce prélude à une passion manquée. Wagner ne l’a pas laissé se perdre. Il s’en souviendra bientôt en composant, pour La Walkyrie, le duo de Siegmund et de Sieglinde, lorsque s’ouvre la porte du désir sur une nuit de printemps.