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ZURICH — « ART ET REVOLUTION »


malheureuse Minna, incapable de comprendre pourquoi il avait quitté Paris, pourquoi il n’avait pas réussi à faire prendre à l’Opéra un de ces ouvrages, pourquoi rien ne s’arrangeait comme elle le désirait, et qui lui adressait une longue lettre pleine de reproches injustes. Elle ne pouvait tomber plus mal. La mesure était pleine cette fois. Wagner bondit sur sa plume afin que cette blessure nouvelle fût au moins la dernière qui lui vînt de ce bras maladroit. Il passa en revue toute sa vie conjugale, cria sa raucune, exposa sa volonté de rompre. Il fallait en finir avec cette longue et douloureuse mésentente ; il fallait que Minna approuvât son projet de séparation et reconnût comme un bienfait cette paix qu’il voulait lui rendre par un départ sans retour. Il offrit de partager avec elle la rente qu’on allait lui faire, de manière à la mettre à l’abri des plus cruelles nécessités.

« …Tu es là devant moi, irréconciliable… tu as honte de ce qui m’est le plus cher. Que peut donc être mon amour maintenant ? Uniquement le désir de le dédommager de ta jeunesse perdue pour moi, de la misère que tu as enduré ? avec moi, de te rendre heureuse… Mais puis-je encore te rendre heureuse en vivant avec toi ? Impossible. »

La séparation était donc nécessaire pour tous deux. Quelques jours plus tard, il reprit la plume :

« J’ai à te communiquér une nouvelle qui est ma raison toute spéciale de t’écrire encore, car j’ai l’impression qu’elle adoucira pour toi les amertumes possibles de notre séparation… Je suis sur le point de partir pour Marseille, où je prendrai un bateau anglais pour Malte et, de là, j’irai en Grèce et en Asie Mineure. Pour le moment, la vie moderne se ferme derrière moi, car je la hais et ne veux plus rien avoir à faire avec elle ou avec ce que l’on nomme son « art »… Crois-moi, il vaut mieux qu’il en soit ainsi, pour toi et pour moi. Adieu donc, Minna, femme durement éprouvée… »

Que se passa-t-il alors ? Est-ce que Mme Taylor, ayant surpris le secret de sa fille, en informa Mme Wagner ? Est-ce que Jessie prit peur ? On ne le sait pas au juste, mais en quelques jours tout s’effondra. Wagner était allé faire une retraite rustique dans une auberge de Montmorency, lorsque Minna en personne, débarqua à Paris. C’était la catastrophe, et Richard n’eut pas le courage d’y faire face.