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RICHARD WAGNER


puisse être fêtée par les hommes… C’est la résurrection artistique du défunt par l’imitation vivante et joyeuse de ses actes et de sa mort dans l’œuvre d’art dramatique ».



Ayant écrit d’une haleine ce traité de l’amour universel résolu par la béatitude du néant, Wagner en compose un livret symphonique, qu’il intitule Wieland le forgeron, et il décide de l’offrir à une scène de Paris. Mme Ritter, la mère de son jeune ami Karl, ayant appris sa gêne, — lui fait tenir 600 thalers. C’est juste ce qu’il faut pour assurer, pendant quelque temps, la subsistance de Minna à Dresde et permettre à Richard d’entreprendre ce nouveau voyage en France. Mais, Wagner n’a-t-il pas quelque autre pensée en décidant de reprendre cette route qu’il qualifie de « fatale » ? En dictant plus tard les fragments du Journal de sa vie, il a glissé en cet endroit deux sous-entendus obscurs et qui laissent supposer que le motif réel de son départ n’était pas celui qu’il avouait. « Vers cette époque, dit-il, je reçus de Bordeaux une lettre de cette Mme Laussot (née Taylor) qui était venue me voir à Dresde l’année précédente. En termes aimables et sensibles, elle m’assurait de nouveau de sa fidèle sympathie. Ce furent là les premiers symptômes d’une nouvelle phase de mon existence, phase dans laquelle je m’accoutumai à voir mon sort matériel dépendre de déterminations intimes qui me détachèrent peu à peu de ma famille… » Et, un peu plus loin : « C’est ainsi que dans les premiers jours de février (1860), je me mis vraiment en route pour Paris. Si, parmi les sentiments complexes qui s’agitaient in moi, l’espoir jouait un rôle, il provenait d’une sphère de mon être intime bien différente de celle où reposait la foi qu’on m’imposait, la foi dans un succès parisien comme compositeur d’opéra ». La sphère de son être intime traversée d’un espoir nouveau, c’est en effet Mme Laussot qu’elle se nomme, comme la jeune Anglaise qui l’était venue voir chez lui avec Karl Ritter et qui, l’année d’avant, s’appelait encore Miss Jessie Taylor. Cette mariée toute fraîche n’était cependant point heureuse. Déçue par un époux bellâtre et trop satisfait de lui-même, elle gardait un souvenir profond du musicien dont, sans doute, elle avait déchiffré tout de suite le cœur inquiet, et,