princes et des grands, en exaltant les vertus mal comprises de
l’antiquité. Équilibre imparfait, dont sortit le siècle de
Louis XIV. Il ne pouvait durer, de par son manque de sincérité, d’authenticité, et l’art se vendit à une maîtresse bien
pire : à l’industrie. « Mercure, dieu des marchands, devint
également le dieu des voleurs et des fripons… Couronnez sa
tête de l’auréole de l’hypocrisie chrétienne, ornez sa poitrine
des vains insignes de la chevalerie féodale, et vous aurez le
dieu du monde moderne, le très-saint et très-noble dieu du
cinq-pour-cent… La véritable nature de l’art moderne est l’industrie ;
son but moral : l’argent ; son prétexte esthétique :
la distraction des ennuyés. » Il est devenu ainsi un labeur et
un métier. Il n’est plus ce qu’il était chez les Grecs, une fête
religieuse, une philosophie, une expression des profondeurs
de la conscience publique. L’art antique était populaire, dramatique,
synthèse de la nation. L’art moderne est individualiste,
en opposition avec la masse, révolutionnaire. Mais de
cette révolution même doit fleurir un amour nouveau, humanitaire,
qui nous aidera à nous aimer nous-mêmes, à retrouver
la joie de vivre. Et de cet amour que les Grecs n’ont pas
su comprendre, poussera un jour l’homme beau et fort,
l’homme qui saura qu’il est le seul et unique but de son existence.
« L’amour des faibles entre eux ne peut se traduire
que comme un chatouillement de la volupté ; l’amour du
faible pour le fort est de l’humilité ou de la crainte ; l’amour
du fort pour le faible, pitié ou indulgence. Seul l’amour du
fort pour le fort est amour, car il est le libre don de nous-même
à celui qui ne peut nous faire violence. Sous tous les
cieux, dans toutes les races, les hommes pourront parvenir
par la liberté réelle à une égale force, par la force au véritable
amour, par le véritable amour à la beauté. Et la beauté
active, c’est l’art. » Utopie, dites-vous ? Pourquoi ? Parce que
l’utopie chrétienne offre un contraste trop brutal entre son
point de départ et son point d’arrivée. « L’idée chrétienne
était maladive, avait germé du relâchement et de l’affaiblissement
momentané de la nature humaine, péchait contre la
vraie et saine nature de l’homme. » L’art doit être donc entièrement
émancipé et rétabli dans sa dignité, soustrait aux
industriels et aux exploiteurs, rendu au théâtre qui en est l’institution
la plus complète et la plus efficace. « La question
Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/197
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ZURICH — « ART ET REVOLUTION »