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RICHARD WAGNER


Leipzig. Celui-ci s’en déclare enchanté et la paye sans marchander cinq louis d’or.

Est-ce surprenant ? À peine. Car dans ce pamphlet orageux, Wagner s’est expliqué pour tous les artistes de 48 sur le sens de leurs exaltations. Non seulement il croyait en la révolution, mais surtout il se sentait appelé « à la conduire dans la voie du salut… et pris d’enthousiasme pour esquisser l’œuvre d’art qui devait naître sur les débris d’un art mensonger. » Ce ne sont pas là des mots ; c’est un tempérament qui s’exprime parce que c’est sa méthode de développement, son véritable acte de croissance. En classant ses idées, il s’affirme, se raconte. Selon Nietzsche, toute philosophie est une sorte de journal intime, d’involontaire confession, un voyage de découverte en soi-même. En écrivant et en composant, Wagner est en effet préoccupé avant tout de trouver des rapports nouveaux entre l’art et la vie ; entre son art et sa vie, afin qu’ils se justifient mutuellement. Mais le plus surprenant, dans Art et Révolution, c’est que Wagner y ait entrevu qu’il demeurait redevable de sa conception du drame au Grec, toujours courbé devant la grande Nécessité qui unissait la plus noble partie de son être à la collectivité par le truchement de l’œuvre tragique. Aussi méprise-t-il les Romains, ces belluaires, « ces grossiers vainqueurs du monde », dont l’art finit dans une décadence entraînant le mépris de soi-même, le dégoût de la vie et l’horreur de la société, préparant ainsi les voies d’un christianisme chargé de neurasthénie. Car le chrétien devait rester « dans un état d’abaissement inhumain », sa vie étant maudite et vouée à l’empire des sens. Le chrétien n’exige que l’aveu de sa misère, le renoncement à tout effort pour s’arracher à cette misère « dont seule la grâce imméritée de Dieu le pouvait délivrer ». L’hypocrisie restera donc le trait saillant du chrétien, du moyen-âge jusqu’à nos jours. Mais la nature, inépuisable en enfantements, répandit dans les veines malades du monde le sang neuf des nations germaniques. Dès lors, la lutte entre l’Église et le pouvoir temporel s’organise. L’esprit nouveau se fait jour en combattant l’esprit chrétien ; l’abîme s’ouvre entre la vie réelle et l’existence imaginaire. C’est l’avènement d’une Renaissance. Mais dans cette humiliation sévère qu’eut à subir l’Église, naquit un art plus libre, qui se mit au service des