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ZURICH — « ART ET REVOLUTION »

Elle écrivit enfin, mais ce fut une longue lettre de plaintes. N’avait-elle pas partagé ses folies de jeunesse ? Ne l’avait-elle pas toujours soutenu, fortifié aux heures de détresse ? Et lorsqu’enfin la chance leur avait offert cette belle situation de Dresde, n’avait-il pas, de gaîté de cœur, sacrifié tout un avenir de stabilité et d’honneurs aux idées politiques les moins sérieuses ? Non, on ne pouvait exiger qu’elle suivît son mari éternellement dans toutes ses aventures.

Richard fut obligé de lui donner raison. Et au fond, c’était bien mieux ainsi. Puisque Minna, la première, semblait renoncer à leur vie conjugale bâtie sur le sable, que la tempête l’emporte donc ! « Dans mon état de profonde pauvreté, cet abandon complet et certain me causa une sensation de délivrance. » De l’avis de Liszt, une période de transition s’impose. « Trêve de lieux communs politiques, de galimatias socialiste, de colères personnelles… Je charge Belloni de vous remettre 300 francs comme argent de route. J’espère que Mme Wagner pourra vous rejoindre et, avant l’automne, je vous ferai parvenir une petite somme qui vous tiendra à flot. L’admirable partition de Lohengrin m’a profondément intéressé ; toutefois je craindrais pour la représentation la couleur super-idéale que vous avez constamment maintenue. Vous me trouvez blen épicier, n’est-ce pas cher aml ?… » Ah ! le merveilleux homme ! Et puisqu’il a envoyé ce viatique, adieu Paris et vive Zurich !

Wagner y rentre aussitôt, s’installe chez Muller, fait la connaissance de quelques Zurichois distingués, dont Jacob Sulzer, jeune chancelier cantonal qui vient d’achever brillamment ses études philosophiques. Il est donc particulièrement à même d’appécier le poëme de Siegfried. L’intérêt que prennent l’un à l’autre Sulzer et Wagner est si vif que des soirées s’organisent dans la vieille chancellerie ou au « Café Littéraire > du Weinplatz. Baumgartner, Sulzer, l’avocat Spyri, tous ces jeunes suisses cultivés et d’esprit libéral, auxquels se joignent des fugitifs saxons et badois, font une société d’un agrément incomparable. Wagner respire, revit. La liberté a quelque chose de si grisant que les paradoxes habituels s’ordonnent tout naturellement sous sa plume. En quinze jours, il rédige une brochure sous ce titre tapageur, Art et Révolution, et il l’envoie à l’éditeur Wigand, a