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RICHARD WAGNER


nario de son Jésus de Nazareth, mais devant leur silence désapprobateur, Wagner entrevit le désarroi moral où il avait sombré. Un réconfort marqua cependant ces journées : une répétition de Tannhaeuser sous la direction de Liszt. C’était enfin le premier artiste qui le comprenait complètement, recréait chacune de ses intentions. Aussi tout ce qu’il avait ressenti durant son premier séjour à Weimar s’épanouit-il maintenant. « Cher Liszt… homme merveilleux… ce voyage a ranimé et stimulé mes instincts d’artiste à un degré extraordinaire ; me voici entièrement d’accord avec moi-même. Il y a un mois à peine, je ne me doutais pas de ce que je reconnais aujourd’hui comme le plus grave problème de mon existence : ma profonde affection pour Liszt me fait trouver en moi et hors de moi la force de résoudre ce problème. Ce sera là notre œuvre commune. » Il n’est plus seul. Et c’est un autre monde qui s’ouvre lorsqu’on a vaincu la solitude.

Wagner visite les ruines de la Wartburg. Il y médite sur le tournant nouveau de son existence, devant ces pierres si intimement liées à son histoire et qu’il voit pour la première fois au moment de quitter l’Allemagne. Car l’exil se rouvre devant lui, seul refuge contre lui-même. Un mandat d’arrêt vient d’être lancé concernant « le chef d’orchestre royal Richard Wagner », pour sa participation active à l’insurrection de Dresde. « On a perquisitionné chez lui. Il faut de toute urgence qu’il s’échappe », écrit Minna. Des horizons lointains qu’il contemple s’élanceront donc plus fortement les nostalgies qui composeront peu à pou sa patrie véritable : l’œuvre où il enfouira toutes les révoltes, toutes les amours et toutes les morts qu’il a rêvées.

Mais avant cette nouvelle désertion, il veut revoir Minna. Si détachés qu’ils soient l’un de l’autre maintenant, sa femme demeure pourtant son fidèle camarade de combat. Assurément lui reprochera-t-elle toujours, il le devine, la part qu’il a prise aux événements politiques, puisque Richard y perdra cette place si difficilement obtenue, si opiniâtrement défendue, si utile, si bonne. Mais s’il faut derochef errer à l’aventure par le monde, quand se reverront-ils ? Liszt avance l’argent nécessaire et Minna rejoint en chaise de poste son mari à Magdala. C’est une propriété agricole à trois heures de Weimar, en rase campagne. Mme Wagner y arrive au