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RICHARD WAGNER

Il est réveillé le dimanche à l’aube par le chant du rossignol qui s’élève d’un jardin à leurs pieds. Paix délicieuse. Léger brouillard que perce très loin, très claire, la musique de la Marseillaise. Les observateurs de la tour distinguent alors sur les routes environnantes une longue colonne d’hommes en marche, armés. Ce sont les mineurs de l’Erzgebirge qui accourent à l’aide des républicains de la capitale. Ils amènent quatre petits canons et défilent bientôt devant l’Hôtel de Ville. Vers 11 heures, des flammes jailissent du Vieil Opéra, où Wagner dirigeait naguère la Neuvième. Le batiment n’est déjà plus qu’une mer de flammes, ce qui doit réjouir le cœur de Bakounine, là en bas, à l’état-major des insurgés. La tour se garnit alors de défenseurs armés et Wagner décide de rentrer chez lui, dans le faubourg de Friedrichstadt.

L’appartement est plein. de femmes surexeitées ; Minna, ges jolies nièces Clara et Ottilie Brockhaus, Mme Rœckel, folle de terreur parce qu’elle vient d’apprendre le retour de son mari à Dresde. Mais les jeunes filles et leur oncle sont tellement émoustilés par le bruit de la fusillade, tout est si vif, si plein d’imprévu, que ce dimanche s’écoule comme une fête de famille. Rœckel est revenu, en effet. Dès le lendemain, on le voit en tête d’une troupe de plusieurs centaines de gymnastes. Bakounine préconise un soulévement des campagnes. Et Wagner s’étant aussitôt rallié à cette idée qui élargira le mouvement, décide de quitter Dresde avec Minna pour établir son quartier général à Chemnitz, chez sa sœur Clara Wolfram. Tout est organisé en peu d’instants. Richard part le premier avec son chien Peps (c’est toujours le signe d’un changement dans sa destinée lorsqu’il se met en voyage avec son chien…) « Qu’elle était radieuse cette matinée de printemps quand, avec le sentiment que ce serait la dernière fois, je pris le sentier où je m’étais promené si souvent solitaire ! Des aloueltes planaient au-dessus de ma tête, d’autres chantaient dans les sillons… » tandis que la canonnade grondait dans les rues auxquelles Wagner tournait le dos. Mais à peine arrivé à Chemnitz, il n’y tint plus et retourna à Dresde.

L’insurrection y était entrée dans sa dernière phase, la plus tragique. On se battait de maison à maison, on s’interpellait de barricade à barricade, au milieu des chameurs, parmi la fumée des torches et des incendies. À l’Hôtel de Ville, les