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RICHARD WAGNER


révolutionnaires. Et le nouveau cabinet, qui a pris en main les affaires publiques, le comprend si bien, qu’il a mobilisé deux divisions de soldats prussiens aux frontières de la Saxe. Cependant les clubs et députations de toutes nuances conjurent le ministère de remplir les promesses royales et de se rallier à une constitution d’Empire. Refus cassant. Wagner assiste le 3 mai à une réunion de l’Union des Patriotes, où il remplace Rœckel, qui a dû prendre la fuite. On y discute dans une grande confusion. En sortant de la salle, Wagner arrive place de la Poste lorsque soudain, de la tour de l’église Sainte-Anne, le tocsin retentit. « C’était une après-midi très ensoleillée. Et aussitôt j’observai le même phénomène que celui décrit par Goethe quand il cherche à se rendre compte de la sensation que lui produisit la canonnade de Valmy. Toute la place me parut baignée d’une lumière jaune presque brune, à peu près comme à Magdebourg le jour de l’éclipse de soleil. J’éprouvai une sorte de profond bien-être et une envie de rire de ce qui m’avait semblé si grave jusqu’alors. » Au Vieux Marché il rencontre la Schrœder-Devrient, arrivant de Berlin, bouleversée par l’émeute qu’elle a vue et redoutant de trouver des violences pareilles dans sa bonne ville de Dresde. Le Conseil municipal lance une proclamation contre l’entrée des troupes étrangères (les divisions prussiennes), et les bagarres commencent. Un parti populaire veut s’emparer de l’arsenal. Les soldats tirent quelques salves à mitraille. Premiers morts, premiers blessés. Wagner voit passer un garde municipal en sang ; forte émotion. On crie « Aux barricades ! » La foule l’entraîne. Un bossu se frotte les mains de plaisir et fait songer Wagner au scribe Vansen, dans l’Egmont de Goethe. Encore et toujours du théâtre. « Enfin, après une si longue attente, la révolution est là ! »

L’Hôtel de Ville devient le siège de l’insurrection. Le roi étant parti pour la forteresse de Kœnigstein, les rebelles en voient une députation au ministère. Il a décampé avec la Cour. C’est donc la guerre civile. Wagner se précipite chez l’imprimeur du journal de Rœckel et lui fait composer une affiche portant ces seuls mots. « Êtes-vous avec nous contre les troupes étrangères ? » On en colle aux coins des rues et aux barricades dans l’espoir d’amener la défection des soldats saxons. Le musicien en distribue lui-même aux mili-