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RICHARD WAGNER


d’écraser maintenant la floraison démocratique du printemps passé. Comme il venait d’établir sa foi en une humanité pure ei jeune, ardente et naïve, par la conception de Siegfried (l’homme dans sa plénitude, l’homme véritable), il fallait de nouveau chercher une fuite, la rédemption par la mort, le suicide. L’alternance de ses instincts reparaissait. D’une part, le besoin de croire et de vivre ; de l’autre, cette conviction que le monde moderne se refusant à toute expérience généreuse, la mort est un acte sain, une évasion nécessaire. Et il prit pour symbole de ses idées la personne humaine de Jésus, « expression de cet instinct qui pousse l’individu à la révolte contre une collectivité sans amour ». C’est le thème d’une autre esquisse, née parallèlement à Siegfried, et qu’il appelle Jésus de Nazareth. « Je vous délivre du péché en vous annonçant la loi éternelle de l’esprit ; cette loi, c’est l’amour : quand vous agirez par amour, vous ne pécherez point. » Telle est la doctrine du Christ wagnérien. Le mariage n’est donc sacré qu’en fonction de l’amour, et où il vient à manquer, à se perdre, la loi naturelle — d’accord avec la loi divine — veut que la femme cherche parmi les hommes celui à qui elle peut donner le bonheur. Ce sont les lois humaines qui ont apporté dans le monde le scandale et le péché. Que l’homme vive donc selon la loi d’amour, alors disparaîtra la crainte de la mort, qui n’est qu’une révolte de civilisé. La mort ne peut être qu’un bienfait et une délivrance devant le spectacle du mensonge et de l’hypocrisie qu’offre la société moderne ; et l’artiste, dans son isolement et son impuissance à la régénérer, doit aspirer à sa propre catastrophe.

L’accord avec soi-même dont nons parlions plus haut, Wagner le poursuit donc jusque dans ses conséquences les plus contradictoires et les plus admirables. Car il n’hésite pas à les unir dans son art. Et s’il n’a pas mené à chef ces projets, tels qu’ils furent conçus durant l’hiver de 1848-1849, c’est que la révolution elle-même vint résoudre le problème et lui donner les certitudes dont il avait besoin.

Un soir, chez Rœckel, Wagner fait la connaissance d’un homme jeune et barbu, avec de grands yeux malades qu’il protège de la main contre le feu de la lampe et dont les paroles brutales le passionnent tout de suite. Le docteur