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RICHARD WAGNER


une petite émeute parisienne. Un poète gouvernait les affaires extérieures de la France ; un ouvrier siégeait au Conseil des ministres ; et, en attendant le retour d’un régime d’autorité, la Deuxième République jetait l’Europe durant quelques mois dans un accès d’enthousiasme qui se propageait de Paris jusqu’à Milan, à Berlin, à Vienne, à Munich, à Dresde. La libération de la Pologne redevint un mot de passe mystique, comme en 1830. Mais « l’esprit de ces révolutions européenues était avant tout national. Elles annonçaient la formation de ces grandes unités, l’unité italienne, l’unité allemande, qui ne s’accompliraient qu’en brisant les cadres de l’Europe et en provoquant de grandes guerres. » (Bainville.)

Dresde était depuis longtemps pleine de rumeurs. Le roi dut avec quelque répugnance changer son vieux ministère contre un cabinet libéral. Un parlement fut élu. Des Unions patriotiques se fondaient un peu partout et des proclamations au peuple s’étalaient tous les jours dans les journaux. Ces nouveautés inouïes se firent cependant sous le signe royal et au feu des illuminations nocturnes. L’ancien temps s’en allait sans bruit en la personne de Metternich, chassé de Vienne, et le roi Louis IIe de Bavière abdiquait sans trop de peine au profit de son fils, parce qu’il piéférait à son trône les faveurs de la danseuse Lola Montès. Le monde moral comme le monde physique changeait rapidement de figure. « L’année folle », disait-on en ce printemps où une ivresse grisait tous les cerveaux. Comment n’eût-elle pas tourné la tête des artistes, qui depuis longtemps déjà attendaient ce beau retour de chance ?

Roeckel s’était jeté en pleine action. Wagner l’y suivit, les poches bourrées de poèmes où il appelait aux armes princes et peuples contre l’autocrate russe. Roeckel était devenu membre du club le plus avancé, l’Union des Patriotes, Wagner fut admis à assister aux séances. Le moment lui sembla venu de solliciter une audience du nouveau ministre radical, Oberlaender, pour lui exposer ses projets de réformes, et il ne sentit d’aucune façon se ralentir son zèle lorsque son ami, ayant publié un écrit sur les milices populaires, fut renvoyé purement et simplement du Théâtre Royal. C’était pourtant un avertissement sérieux. Wagner en tint si peu compte, qu’il se fit admette à son tour dans l’Union des Patriotes. On le