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APOLLON ET MARSYAS


société qui l’avait rejetée et contre l’homme qui n’avait pas su comprendre son esprit révolté. Elle s’appelait la comtesse Marie d’Agoult, et cet amant qui, après sept ans de liaison s’était détaché d’elle, se nommait Franz Liszt. Naguère camarade de George Sand, elle demeurait l’inspiratrice et l’amie des politiciens qui venaient de déclencher le mouvement socialiste où allait prendre fin le règne compliqué, louvoyant et pacifique de Louis-Philippe. Assurément possédait-elle pour juger de haut le grand remous politique mené par Ledru-Ro1lin, Louis Blanc, Arago et Lamartine, un coup d’œil d’une rare sagacité. En notant aux premières pages du récit qu’elle allait entreprendre ses origines et ses causes, l’on demeure frappé par la justesse de ses points de vue et leur parallélisme avec les événements dont quatre-vingts ans plus tard nous sommes les témoins. « Mais à la paix continentale », écrit-elle en effet, « les choses, changèrent d’aspect. Avec la sécurité publique et l’accroissement de la population, la vie industrielle prit un essor rapide. De vastes ateliers, des usines immenses s’ouvrirent, où, à l’aide de procédés nouveaux et de machines merveilleuses, on multiplia les produits avec une célérité, une économie, une perfection inconnues jusque-là. La prompte fortune des fabricants étonna, éblouit ; elle éveilla une émulation désordonnée. Le salaire des ouvriers, porté à un taux énorme, attira dans les grands centres manufacturiers une population enlevée aux campagnes et poussa de plus en plus vers la production excessive. La consommation bientôt ne répondit plus à une telle multiplication des produits ; la disproportion entre l’offre et la demande devint sensible ; l’encombrement se fit ; l’équilibre fut rompu. » Quant au vieux roi Louis-Philippe, « s’attachant obstinément à maintenir la paix sans en tirer autre chose qu’une prospérité et un repos mensongers ; s’infatuant de la médiocrité de ses pensées à mesure qu’il la voyait plus généralement partagée ; … se riant de tous les conseils, s’isolant dans le sentiment exagéré d’une autorité que la vieillesse avait rendue jalouse, ce malheureux prince finit par devenir totalement étranger à son siècle et à son pays ».

Lamartine a appelé les journées de février « la révolution du mépris ». Elles coûtèrent son trône à la dynastie d’Orléans. L’ancien régime mourait pour la seconde fois dans