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RICHARD WAGNER


déric-Guillaume en qui, dès Paris, Wagner a concentré ses espoirs patriotiques, ne sera pas plus que le roi de Saxe le sauveur de l’Allemagne au moment où éclateront les troubles qui menacent de tous côtés.

L’année 1847 s’achève sur la mort terrible de Mendelssohn. L’année 1848 s’ouvre par la mort de Mme Geyer. Le vieille et charmante Johanna s’est éleinte doucement, le 8 janvier, à Leipzig, entourée par la famille Brockhaus. À son enterrement, Richard retrouve Laube qui lui parle de la politique et des inquiétudes générales qui pèsent sur l’Europe. Devant cette tombe où l’on vient de descendre le chef fragile de sa famille dispersée, Richard se sent plus seul que jamais. Il a atteint le milieu de sa carrière. Ni le célébrité, ni la fortune ne lui ont encore donné autre chose que des gages illusoires. L’amour, il y faudra certainement renoncer. N’est-ce pas trop tard ? « Le plus profond souci et le plus grand dégoût », tel est le bilan de sa situation murale et matérielle à la veille de la tempête. Mourir lui aussi, peut-être ? Mais au moins mourir pour quelque chose, car on ne meurt pas d’écœurement, ni par simple indifférence. Et tout de même le ciel est chargé d’électricités redoutables… Mais en faisant son tour d’horizon, Wagner n’aperçoit que ces quelques amis trop jeunes. Ou bien Roeckel, déjà fort avancé dans les clubs politiques — et donc un peu détaché de lui. Ou bien toute une série de collègues et de chefs hostiles. À l’arrière-plan, un beau et souriant visage semble seul le regarder avec surprise, avec curiosité ; mieux que cela, avec une fraternelle compréhension : le visage du pianiste et compositeur Franz Liszt.

Ils s’étaient entrevus deux ou trois fois. À Paris d’abord, où l’entretien n’avait pas eu de suite. Cela se passait au plus fort de ses années de misère et Richard se rappelait avoir été injuste. Plus tard, à Berlin, où il se trouvait de passage pour conférer avec l’intendance des théâtres au sujet du Vaisseau Fantôme, Wagner causait avec Mme Schroeder dans la chambre qu’occupait celle-ci à l’hôtel, quand Litzt entra. Malgré ce que pouvait avoir d’embarrassant le souvenir du malentendu qui naguère avait motivé chez Wagner un compte reudu de concert assez acide, Liszt mit à se faire pardonner sa gloire une si naturelle cordialité, que Richard en demeura conquis. Le charme opéra. Un charme fait de bonhomie,