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RICHARD WAGNER


tions symboliques, frémissait l’énorme passion d’un ouvrier d’idéal.

Encore un mot périmé… Et je ne trouve guère pour le remplacer dans notre vocabulaire moderne que celui d’ambition, qui vise, au matériel, ce qu’au spirituel visaient les hommes d’il y a cent ans. Mais si, comme le dit Jean-Richard Bloch dans son Destin du Siècle, l’esprit du vingtième siècle « a commencé à trouver son accent propre » dans le mépris des vénérations qui furent celles du dix-neuvième : culture, intelligence, sensibilité, désintéressement ; qu’il ne veuille plus travailler sur de la matière cérébrale « mais détruire et reconstruire dans l’ordre matériel », alors ce mot d’idéal qui paraissait à l’aube de 1848 tout chargé de réalités pratiques se voit vidé de son sang et n’est plus, en effet, que l’un de ces cadavres verbaux qui flottent encore sur le lexique des peuples.

Toutefois, pour Wagner, en 1847, il signifie sincérité envers soi, éducation du peuple, indépendance des esprits, nécessité de réformes. Choses qui semblaient urgentes à l’avènement de la nouvelle Allemagne et indispensables à Richard Wagner lui-même pour pouvoir penser, croire et mettre au monde ses œuvres futures. Aussi rédige-t-il un projet de réorganisation de la chapelle royale où il suggère la construction d’une salle de concerts, le remaniement du répertoire, une répartition plus équitable des subventions pour le pcrsonnel de l’orchestre. On lui retourne ses papiers avec de bonnes paroles et une pointe d’ironie. M. le Kapellmeister n’a qu’à se mêler de ce qui le regarde et à faire comme ses collègues l’ont toujours fait et le feront jusqu’à la consommation des siècles : accepter les routines éprouvées, en tirer le meilleur parti possible, ou bien offrir sa démission. Car lorsqu’on est enfoncé dans les dettes on ne parle pas de réformes. Charité bien ordonnée, etc…

Wagrer reste donc seul avec Rocckel, Uhlig, le Dr. Pusinelli et quelques jeunes incornus : ce petit M. de Bülow (seize ans) ; un certain Karl Ritter (dix-huit ans) d’une famille aisée de Courlande installée à Dresde ; une jeune Anglaise, miss Jessie Taylor (vingt ans). Ceux-ci viennent le voir chez lui, sollicitent des autographes, achètent ses partitions, et l’enveloppent d’une atmosphère où l’artiste respire enfin les par-