Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
L’OUVRIER D’IDÉAL


telles révélations, parce qu’il ne doit pas s’opposer aux lois de la nature. Celle-ci se venge et réduit les révélations à néant », écrit-il de Gross-Graupe au Dr. Hermann Franck, l’un des rares connaisseurs qui défendait ses œuvres dans le « supplément de la Gazette d’Augsbourg ». Franck désirait à Lohengrin une fin moins amère. Mais Wagner, mû par ses pressentiments, persista dans son plan. Et Lohengrin demeura tel qu’il l’avait voulu, une péripétie de l’âme. Le mystère du « pourquoi » des sentiments et des origines de l’amour est impénétrable, fruit immatériel d’un charme. Et ce charme lui-même, comme la musique, comme l’amour, comme Lohengrin, s’évanouit dès qu’on tente de l’expliquer. C’est l’antique aventure de Zeus et de Sémélé, un dieu aimant une femme et obligé de l’anéantir pour échapper au zèle le plus profond de l’amour, qui est l’illimité désir de la connaissance.

De toutes parts, Wagner est enserré par le problème de la possession d’un être, « l’aspiraiion à sa réalité la plus absolument matérielle ». Et comme la vie ne lui en offre pas encore de solution, il transporte en musique cette obsession rigoureuse, sensuelle jusqu’aux cris. Si, dans Tannhaeuser, il était allé d’instinct au pur, au chaste, comme à la sauvegarde de l’homme, parvenu à présent sur les sommets de son isolement et « au comble de la puissance humaine », il lui tarde de redescendre dans les profondeurs, « vers l’ombre intime de l’étreinte… » Lohengrin attendait donc la femme qui crût en lui, « qui ne demandât pas qui il était ni d’où il venait, mais qui l’aimât tel qu’il serait et parce qu’il serait tel… Ce qu’il cherchait, ce n’était pas l’admiration ni l’adoration, mais l’unique chose qui pût le libérer de son isolement et apaiser son désir, l’amour, être aimé, être compris par l’amour. Avec sa conscience la plus sachante, il voulait devenir un homme complet, sentant avec ardeur et ressenti avec ardeur, donc homme avant tout, c’est-à-dire artiste absolu, mais non pas dieu. Ainsi aspirait-il à la femme. Ainsi descendait-il de sa solitude sauvage et ensoleillée lorsqu’il entendit là-bas, au milieu de l’humanité, l’appel de ce cœur tourmenté ».

Déjà l’on croit entendre sous les branches des mélèzes le pas de Zarathoustra. Mais d’un Zarathoustra plus doux, plus blond, non celui de Portofino et de Rapallo qui, empruntant