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RICHARD WAGNER


chapeau de paille et suivi de son chien Peps. Le visiteur se présente : Hans de Bülow, seize ans, étudiant, passionné de musique, profond admirateur… Ainsi entrait dans la vie de Wagner ce garçon dé dix-sept ans plus jeune que Jui et dont il allait devenir le maître aimé, le tourmenteur formidable, « Avez-vous rencontré en mer le navire à la voile rouge, au mât noir ? À bord, sur le tillac, le patron du vaisseau, l’homme pâle, veille sans relâche. Houhi !… quel sifflement dans les cordages ! Un jour, pourtant, l’homme peut trouver la délivrance s’il rencontre une femme qui lui soit fidèle jusque dans la mort. Ah, pâle marin, quand la rencontreras-tu ? » C’est la ballade de Senta dans le Vaisseau Fantôme. Et le Hollandais y répond par ces mots : « Le sombre feu dont je me sens embrasé, faut-il lui donner le nom d’amour ? Hélas, non, c’est l’attente inquiète de la délivrance… » Erik et le Hollandais se contemplent pour la première fois dans cette campagne ensoleillée où Richard travaille à son Lohengrin.

Comme pour Tannhaeuser, comme pour le Vaissenu, l’idée lui en était venue en pleine nature, au cours de ses promenades à Marienbad, l’été précédent, Des livres qu’il transportait toujours dans ses poches, deux idées poétiques s’étaient levées : celle du Chevalier Lohengrin et celle des Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Tiraillé entre l’une et l’autre, il ne savait pas encore à laquelle ii donnerait d’abord naissance. Tantôt c’était la légende du cygne qui le séduisait, tantôt le rude visage du cordonnier Hans Sachs, « incarnation suprême du génie populaire ». Toute la comédie se dressa vivante devant ses yeux ; il la nota en hâte d’un bout à l’autre. Mais le même jour, dans son bain, Lohengrin revint à la charge. Pour s’en délivrer, il lui fallut l’écrire aussi. Tout cela avait été interrompu par les représentations de Tannhaeuser, la Neuvième, le long hiver plein de soucis, et maintenant, dans ce doux paysage saxon, il achevait enfin son poëme. Le poëme de la séparation, l’éternel poëme des adieux. Car pour cet homume qui a encore si peu aimé — et si mal — le destin de l’amour est d’être impossible. Il ne vaut que par la réaction des amants devant l’obstacle. Le vrai sens de la légende de Lohengrin est celui-ci : le contact de la nature humaine avec le surnaturel ne peut avoir de durée. « Dieu serait mieux avisé en nous épargnant de