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« TANNHAEUSER »


de Dresde, Elle jallirait comme la source de Moïse du vieux roc de l’expérience. Il fallait montrer aux troupeaux que l’art d’amusement est une naïve erreur, qu’il est le plus trompeur des mirages, une triste impuissance de décadent. Car la santé du monde repose sur les seules valeurs de l’amour et de la souffrance, peut-être du renoncement, Et c’est dans l’érotique que l’humanité trouvera les énergies qui la conduiront à son entière rédemption. Planant sur l’univers comme une fatalité, le héros futur a une âme divine et un corps ravagés de passions.



Rœckel étaient de ceux qui savaient ces choses. Malgré la demi-chute de Tannhaeuser, il gardait la foi. Il pensait que rien ne pourrait écraser son ami, dont il avait vu « littéralement étinceler » la tête. Quant aux critiques, ils avaient de nouveau beau jeu, et la solitude morale de Wagner s’acrut quoiqu’il fût en rapports directs maintenant avec tous les artistes de la ville : les sculpteurs Ritschl et Haenel, Gutzkow le poële et dramaturge, l’architecte Semper, Auerbach. Mais l’admiration ou la sympathie, pourquoi ne savent-elles émouvoir autant que la méchanceté ou la raillerie ? « Les insuffisances du poëme sautent aux yeux », disait La nouvelle revue de la musique. « L’ouverture est incompréhensible et manque autant de coloris général que le sujet lui-même. » Il ne lut pas la correspondance de Schumann et de Mendelssohn, où ceux-ci se communiquaient leurs impressions sur la partition lithographiée que Wagner leur avait adressée. « Certes, un gaillard spirituel », disait l’auteur de Manfred et du Carnaval, « mais vraiment, il ne sait ni penser ni écrire quatre belles mesures de suite, pas même quatre bonnes mesures. C’est en harmonie et dans le choral à quatre voix que tout lui manque, comme aux autres. La musique n’en est pas d’un cheveu meilleure que celle de Rienzi ; plus terne, au contraire, et plus forcée. » Plus tard seulement, après avoir assisté à une représentation de Tannhaeuser, Schumann revint sur son opinion et recounut qu’il avait été tout à fait « saisi par le drame musical ». Or, c’est dans ce saisissement même que reposait le sens du mouvel art dramatique et le relève-