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« TANNHAEUSER »


taine de Vénus. Et Tannhaeuser, secoué d’une souffrance bien-aimée, écoute monter comme malgré lui à ses lèvres les gémissements du plaisir. Bientôt il ne se contient plus ; il n’est qu’un cri de passionnés regrets. Alors d’autres poètes interviennent, le débat s’anime, Tannhaeuser s’exalte toujours davantage, tandis qu’Élisabeth sous son baldaquin — quel hommage au cœur des femmes qui aiment — approuve d’un signe la folie de l’ensorcelé. Perdant toute prudence sous la menace des courtisans scandalisés, Tannhaeuser se trahit de plus en plus, avoue sa retraite amoureuse, proclame le culte du plaisir et entonne son hymne à Vénus. Un cri général d’indignation lui répond. Les barons se précipitent l’épée nue sur le « maudit » qui a goûté aux joies infernales lorsqu’Elisabeth se jette au-devant d’eux pour le protéger de sa pureté. « Arrière, je ne crains pas la mort… Moi, dont il a percé le cœur avec allégresse, j’implore pour sa vie. Qu’il expie et se repente. Je prie pour lui… » Tannhaeuser a la brusque vision de sa déchéance. Il tombe à genoux, baise la robe de la Sainte, et comme si toute attente d’une nouvelle vie ne pouvait s’exprimer que dans un mot, il s’écrie : « À Rome ! »

Dès lors, on le sent, le chevalier de l’angoisse amoureuse ne pourra plus être sauvé que par la mort. Il ne lui reste que le désir de se perdre pour se racheter. Séduit et affolé par Vénus, il s’est arraché d’elle pour retrouver la souffrance humaine. Et dès qu’il a reconnu celle-ci dans les yeux d’une femme, il fuit vers Dieu. Mais Dieu n’accepte pas ce repentir souillé de plaisir. Le pèlerin revendra donc de Rome l’année suivante avec sa robe de douleur, que l’Église n’a point jugée assez pure. Élisabeth l’attend cependant au bord du chemin, en prière, avec toute la confiance de son ingénuité. Mais elle ne l’aperçoit pas dans le cortège des pardonnés. Désespérée, elle offre à Dieu sa vie en holocauste. Aussi le pèlerin maudit qui suit à distance la sainte cohorte ne retrouve-t-il que le désert. Il raconte alors à Wolfram les étapes de son voyage inutile, il éclate en imprécations et en sarcasmes. Puisque son repentir fut vain, il reprendra la route du Vénusberg et rejoindra la déesse sans âme. Déjà l’air s’emplit de musiques surnaturelles, et à travers les vapeurs de l’aube qui succède à cette longue confession nocturne, apparaît la nudité symbolique de l’oubli. Mais Wolf-