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« TANNHAEUSER »


ses amitiés autant que dans ses amours. La mort de Lehrs, survenue à cette époque, l’abattit à tel point qu’il fut incapable et de penser et d’agir pendant longtemps.

Au mois de mai, le poème de Tannhaeuser est achevé. Et durant les vacances d’été les Wagner s’en retournent dans leur cher Teplitz, où Richard soigne de manière assez fantaisiste l’affection abdominale qu’il a, dit-il, contractée à Paris, dans l’humide logement de la rue Jacob. Il fait tous les matins une promenade au pas de course, emportant sa bouteille d’eau et un gros livre, la Mythologie allemande de Grimm. Cet ouvrage le met dans un état « de violente excitation », malgré sa confusion et sa science un peu élémentaire, mais Wagner accède par lui à un monde où il lui semble avoir toujours vécu. Monde légendaire dans lequel il se meut infiniment plus à l’aise que parmi les peuples à roulades et à bel canto où ses contemporains ont été puiser leur inspiration. Il tient là de quoi créer un opéra allemand. Rentré à Dresde, il s’y trouve maintenant presque absolument heureux dans sa jolie retraite de la Ostraallee. S’il y rencontrait seulement « ses Parisiens » ce serait le bonheur parfait. Aussi hait-il ce Paris qui retient sa sœur préférée Cécile. Il hait Vienne, « cette ville de Donizetti ». Est-ce Dresde qu’il aime ? Non, c’est le monde imaginaire où il recommence de vivre, le monde de Tannhaeuser.


Novembre 1843. Il marque cette date en tête d’une rame de papier vierge. C’est celle d’un nouvel enfantement dont il sent approcher les longues et bienfaisantes douleurs ; celle où il commencera de jeter pêle-mêle la masse d’idées qui le travaille. Mais il est interrompu sans cesse. Représentations du Vaisseau Fantôme à Cassel, à Riga (ce Riga où son nom est complètement oublié, hormis de ses créanciers). Première du Vaisseau à Berlin, qui saura mieux apprécier sans doute la célébrité naissante du jeune saxon dont on entend dire tant de choses contradictoires. Nullement. À Berlin, malgré une atmosphère chargée d’électricité, malgré la « Stimmung rare et mystérieuse » dont le compositeur a enveloppé tout son premier acte pour hypnotiser son public, malgré même la présence flatteuse du roi de Prusse, le succès est violemment contesté. Écrivant à sa femme Richard de nouveau