Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
« TANNHAEUSER »


d’alors l’héritier du drame grec, tel qu’il avait été repris et développé par Monteverde, Gluck, Weber, pour aboutir à cette greffe rare du Vaisseau Fantôme ? Au surplus, une critique musicale tout à fait impartiale et objective ne peut pas exister parce qu’elle ne procède pas d’une discussion d’idées ou de formes, mais d’un conflit de tempéraments.

Quant à Wagner, voici son opinion sur la visite de Berlioz : « Le succès de mes opéras lui a été en abomination. C’est un malheureux homme… » Berlioz avait-il laissé voir un manque d’enthousiasme ? Assurément, non. Mais Richard était devenu méfiant. Il repérait ses ennemis, les désirait puissants pour que la lutte fût d’autant plus honorable. « Nous autres compositeurs, nous ne pouvons pas être Européens ; il faut choisir : ou Allemands, ou Français. » Au fond, il n’en croyait rien. Mais l’ingrat et dur Paris restait fiché dans son âme comme une épine. Il se disait détesté de Mendelssohn aussi, parce que l’illustre chef de Leipzig et de Berlin, voulant à son tour composer un opéra, la faveur dont jouissait Rienzi devait nécessairement le jaunir d’envie. C’était lui qui empêchait Schumann de venir à Dresde. Autour de ce Juif heureux se formait une « clique » ; et cette clique serait contre lui, naturellement. À sa tête, ces prudents messieurs poussaient M. Moritz Haupmann, le rédacteur en chef du Journal universel de la musique, un Mendelssohnien militant. Donc, un anti-wagnérien, cela va de soi, car qui n’est pas pour moi est contre moi. Tant d’animosité et de sournois complots grandissent l’adversaire. Richard se sent plus solide d’être devenu la cible de ces puissants seigneurs et de leur presse servile. Pourtant il réitère ses avances à Schumann, l’invite à Dresde, lui envoie les partitions de Rienzi et du Vaisseau. Silence complet.

Alors Wagner se remet au travail. Minna et lui s’installent enfin dans un appartement convenable, au no 6 de la Ostraallee, prenant vue sur le Zwinger (dans cette même Ostraallee où, étant enfant, il avait entendu une statue de pierre accorder son violon). Il faut, hélas, emprunter de nouveau quelque argent et hypothéquer les rentrées futures de ses opéras pour se procurer le mobilier indispensable — et même celui qui ne l’est pas… du moins aux yeux des philistins — c’est-à-dire un piano de Breitkopf, un bureau « ma-