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LES LAURIERS DE « RIENZI »


avenir ; ensuite une pluie de lettres tombées de Magdebourg, de Kœnigsberg, de Riga et de Paris, toutes envoyées par ses créanciers ; enfin l’offre qu’on lui fait de la place de premier chef d’orchestre au Théâtre Royal de Dresde.

En ce qui concerne ces malheureuses dettes qu’il traîne depuis tant d’années, Wagner les règle d’un seul coup grâce à un prêt de la femme généreuse qu’est Mme Devrient, dont l’admiration ne s’arrête pas au fermoir de la bourse. (Quelle joie de pouvoir rembourser au pauvre Kietz les 600 francs qu’il lui a empruntés). Quant à l’emploi de chef d’orchestre, Richard hésite. Il lui semble qu’en acceptant ce poste, si bien rétribué soit-il (1.500 thalers par an), c’est la vieille chaîne qu’il se remet au cou, celle qui lui a valu toutes ses misères et dont huit années n’ont pas cicatrisé la plaie. Recommencer cela ? Aliéner une liberté achetée au prix des tribulations de Paris ? « Voie fatale », dirait-on, où il se trouve sans cesse ramené. Toujours cet affreux pupitre, ces planches, ces courants d’air, cette odeur de cave, ce peuple en guenilles de velours et toute cette « décadence du théâtre moderne ». Le masque grotesque de la Tragédie surplombe sa tête, et il en écoute les voix. Ses sœurs lui soufflent qu’il est essentiel d’avoir l’existence assurée ; l’intendant, qu’il pourra mettre à l’étude ses œuvres futures ; Mme Karl-Maria von Weber, veuve du compositeur tant admiré : « Songez à ce que je devrai raconter à Weber quand je le reverrai et qu’il me faudra lui dire que l’œuvre à laquelle il s’était consacré est livrée à l’abandon. » La voix de Minna enfin murmure « Ah, la douceur de posséder un domicile fixe, le bien-être, la protection du roi ; ah, l’honneur d’être la femme du premier kapellmeister de la Cour ! »

Cela ne l’eût peut-être pas décidé malgré tout. Mais, dominant ce concert, deux mots le subjuguèrent qu’il reconnut pour être siens : créer l’impossible. L’optimisme l’emporta donc. Le 2 février, au bureau de l’intendance royale, devant tout l’état-major de la chapelle rassemblé autour de M. de Lüttichau, lecture est donnée du décret royal. Richard Wagner est reçu en audience par Sa Majesté le Roi Frédéric de Saxe. Il endosse pour la circonstance un uniforme de cour. Il prête serment de fidélité…

Le voici de nouveau prisonnier. Il est rentré dans le cercle