Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
RICHARD WAGNER


à la mode, cette excitation est surtout professionnelle. Aucune aventure féminine ne le sollicite. Il ne pense qu’à la mise en train de son Vaisseau Fantôme. Au surplus, cet ouvrage lui apparaît supérieur à Rienzi, plus uni, plus dans sa ligne. Et il ne doute pas du succès, l’enthousianme des acteurs, de l’orchestre, du personnel, de l’intendant, se maintenant à la même température,

Est-ce donc une nouvelle palme que cette première du Vaisseau, le 2 janvier de 1843, dix semaines à peine après Rienzi ? Oui et non. En tout cas ça n’est déjà plus tout à fait la même chose. Wagner se rend bien comptle qu’il exige du spectateur un effort d’imagination beaucoup plus important le sujet étant plus vague et comme fondu dans une atmosphère de légende. D’autre part, il en a retranché tous les effets faciles. Il a créé un genre d’où les grands ensembles, les chœurs ; les finales sont exclus. Et il s’est affirmé thaumaturge. Rienzi n’était qu’une aventure de ténor adroitement détachée sur un fond de ruines. Mais le Hollandais, c’est sa mystique nouvelle des enchantements, des envoûtements du cœur. Il ne s’agit plus du surnaturel à la Mozart, qui n’est qu’un symbole des puissances divines ; mais d’une sorcellerie humaine, où le merveilleux est à la portée de chacun et s’attrape comme une maladie. Premier accès de cette folie d’où les âmes reviennent à jamais gâtées pour le monde démusicalisé de la réalité.

Le public est apparemment dérouté, intéressé cependant, mais plus sensible à l’admirable interprétation de Mme Schroeder-Devrient qu’électrisé par les recherches du compositeur. Appelons cette demi-réussite un succès d’estime ; compliment redoutable… Au vrai, c’est précisément le premier point de solitude dont tout à l’heure nous parlions, la première distance marqués par l’artiste sur le chemin qui va l’éloigner de la masse pour le rapprocher de la conquête de soi. Quatre représentations suffisent déjà à épuiser la curiosité des amateurs, Mais Wagner n’est nullement ébranlé par ce relâchement d’intérêt. Et si, pour se rassurer, il note « la divergence singulière qui existe entre ses aspirations intimes et ses succès extérieurs », trois faits viennent lui fournir la preuve de sa notoriété. D’abord la confiance absolue, inébranlable, de Mme Schroeder en son