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RICHARD WAGNER


d’exprimer ses rêves et de fixer ses émotions. Sorte de fardeau mystique dont elle n’aperçoit jamais la tragique contrainte. Car, ou bien elle fera de cet élu l’instrument de ses volontés, et, lui ayant bientôt ravi les attributs de sa maîtrise, elle le rejettera vite à l’oubli ; ou bien, surprise par sa force, elle luttera durement contre celui-là même qu’elle a d’abord choisi, essayera de le plier à ses désirs, et n’acceptera enfin de se soumettre à lui que s’il consent à payer sa grandeur et sa solitude du prix de son bonheur. Mais ce long marchandage, c’est toute l’histoire du génie.

Si, après cette soirée du 20 octobre de 1842, Wagner avait écrit un deuxième Rienzi, eomme le voulaient ses applaudisseurs, nous en serions réduits aujourd’hui à chercher son nom entre ceux des disciples de Spontini et de Meyerbeer. Mais il a composé le Vaisseau Fantôme. Il est entré en lutte avec lui-même. Il ne considère nullement son développement comme terminé. Il sent monter en lui un violent appétit de plaisirs en même temps qu’un paradoxal dégoût pour ces voluplés tant désirées. Il aspire à vivre et n’a jamais ressenti plus fortement le besoin de travailler. Déjà il veut corriger l’œuvre qui vient brutalement de triompher, en ôter le fatras, en supprimer les longueurs. Il court chez les copistes, barre des pages entières, rejoint Tichatschek au théâtre, veut sur l’heure alléger son rôle, lorsque le chanteur réplique : « Je ne permets pas qu’on lui enlève une note. Il est divin. » Ce témoignage d’un succès auquel Wagner ne peut encore s’habituer le soulève derechef d’une étrange sensation de force — et de ridicule. Faut-il croire en les autres ou en soi ? L’intendant von Lüttichau lui adresse une letre officielle de remerciements. On lui remet 300 thalers pour son opéra (c’était exceptionnel, les droits d’auteur se montant en général à 20 louis d’or). Le roi et les princesse royales viennent entendre la pièce dont toute la ville parle. On la coupe même en deux soirées pour la réduire à des proportions normales et ne pas fatiguer les spectateurs. Mais il faut, dès le troisième essai, rétablir la version intégrale, tant le public en est avide.

Bien entendu, il n’est plus question de laisser jouer à Berlin le Hollandais Volant. On le rapatrie à Dresde et les répétitions commencent aussitôt. Cette fois, Mme Schroeder-