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RICHARD WAGNER


die » de sa composition, et ne parvenant point à rien trouver d’adéquat, Wagner lui promit pour chaque répétition une page de vers. Il tint parole et apporta chaque fois la feuille demandée, qu’il prélevait à un ancien libretto tiré par lui d’un roman de Kœnig, « la Noble Fiancée ». Orchestre moyen, de soixante-dix instruments, mais où les cordes manquent absolument de la sonorité puissante des ensembles parisiens. Ce qui, toutefois, permet tous les espoirs et donne toutes les joies, ce sont les deux premiers sujets de chant : le ténor Tichatschek et Mme Schroeder-Devrient. Admirable musicien et doué d’une voix splendide, Tichatschek est malheureusement aussi paresseux que Reissiger ; il n’apprend jamais ses textes. Mais son talent compense à tel point ses défauts, qu’on peut tout attendre de son génie vocal. Dès les premières études, il s’enflamme pour son rôle, et Richard sent bien que de ce côté-là il n’a rien à craindre. Quant à la Schroeder-Devrient, c’est une vieille connaissance ; et un véritable enivrement le prend devant cette artiste exceptionnelle, celle qui l’avait électrisé à seize ans, à qui il avait envoyé un serment de potache où il jurait qu’ils se reverraient quelque jour, qu’il avait revue en effet lors du fiasco de Magdebourg et avec laquelle il traite enfin de puissance à puissance ! Hélas, il faut bien convenir que depuis treize ans sa voix a un peu perdu et son corps, en revanche, terriblement gagné. Elle traîne les mouvements, son jeu a pris une affectation fâcheuse. Mais, bien que ces défauts n’échappassent point à Richard, le feu de cette actrice ardente le remplit d’un exultant plaisir. Aussi les répétitions se déroulent-elles dans une atmosphère extraordinaire, dont la tension ne fait que s’accroître à mesure que l’ensemble se précise et que les grands mouvements des chœurs et de l’orchestrc prennent leur place. Elles font bientôt naître en tous la certitude du succès.

Malgré la vie de chien qu’il mène, Richard n’oublie rien, écrit aux Avénarius, aux amis de Paris, envoie à Schlesinger les « arrangements » promis de la Reine de Chypre et pleure la mort du Duc d’Orléans. « Paris nous demeure inoubliable, et quelles qu’aient été nos souffrances, elles pèsent moins que le souvenir du grandiose de cette vie de là-bas. » Même Minna (restée une partie de l’été aux bains de Teplitz) lui