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RICHARD WAGNER


au couple nécessiteux, avait écrit à Louise Brockhaus pour l’engager à faire à son frère quelques avances de fonds. Nouveau miracle, ces subsides à peine espérés étaient arrivés par deux fois. D’abord, sous la forme d’un billet de 500 francs que Richard avait fourré dans le bec d’une oie qu’il apporta lui-même à sa femme le lendemain de Noël ; puis un deuxième envoi lui permit de régler quelques-unes de ses dettes et d’assurer son départ pour la semaine de Pâques.

« L’heure de la délivrance sonna enfin. » Le printemps tout chantant de moineaux parisiens remplit le cœur de Wagner d’une reconnaissance amère et délicieuse pour la capitale où, à vingt-neuf ans, il atteignait à sa majorité spirituelle. Il ne fallait rien regretter. Sauf les amis modestes que « la ville de l’espérance » avait groupés durant presque trois années dans son petit logis d’indigent.

Leur émotion à tous fut grande, « presque accablante », au moment du départ du plus jeune et du plus ardent d’entre eux. C’était le 7 avril de 1842. Anders était courbé comme un vieillard que la vie va bientôt quitter sans lutte. Lehrs se savait condamné et prenait pour toujours congé de ce petit ménage encore si riche d’illusions et de confiance en soi. Avénarius, sa femme et leur petit Max, vinrent saluer les partants. Kietz était là aussi, hirsute, enfantin, affectueux, et à la dernère minute il mit dans la poche de Wagner une pièce de cinq francs — la seule qu’il possédât — car il craignait que son ami ne manquât de cet humble superflu. Puis la diligence s’ébranla.

Wagner emportait une fois d plus sa valise pleine de papiers. C’étaient les brouillon des arrangements de Robert le Diable, des Huguenots, de Zanette et de la Reine de Chypre, qu’il n’avait pas encore terminés et dont il devait compte à Schlesinger. La lourde guimbarde traversa les ponts, roula sur les boulevards ensoleillés, passa les barrières. « Et nous ne vîmes plus rien, car nos yeux étaient obscurcis par des flots de larmes. »