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UN MONDE NOUVEAU


musique l’histoire de Manfred, le fils de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen. Mais il abandonne vite cette idée parce que Lehrs lui prête le vieux poème du « Tournoi sur la Wartburg », la guerre des chanteurs (Sängerkrieg) ainsi que la légende de Tannhaeuser et celle de Lohengrin : « Un monde nouveau venait de s’ouvrir à moi. »

Paris ne lui aurait-il fourni que le hasard de cette lecture, cette rencontre entre l’artiste tout gonflé de sève et le sujet au fond duquel il va enfin réveiller ses puissances, qu’il pourrait à bon droit chanter sa misère oubliée. « Oh, Paris ! Oh, souffrances et joies !… Nous bénissons vos douleurs, car elles ont porté des fruits magnifiques. » (Lettre de septembre 1842.)

Jamais son désir d’Allemagne n’a été plus pathétique qu’au cours de ce dernier hiver parisien. Et quoiqu’on remette de mois en mois les représentations de Rienzi, il correspond avec l’intendant, le chef des chœurs, le régisseur, le Kapellmeister, les chanteurs du théâtre de Dresde. Il leur offre son Vaisseau Fantôme. Il l’offre au théâtre de Breslau, de Leipzig. Refus. « Impropre à l’Allemagne — » répond-on de Munich. Il écrit au roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse et propose de lui dédier son œuvre. Silence. Il écrit trop sans doute. Il lasse d’avance ces fonctionnaires indifférents par ses questions, sa minutie, ses recommandations. Il trahit naïvement des exigences qui découragent les bonnes volontés les plus robustes, et il commet en bloc ces fautes contre la mesure et la modestie que les gens en place ne pardonnent guère aux débutants. C’est qu’il joue son amour-propre, son ambition, sa vie. Il engage tout l’avenir artistique qu’il croit porter en lui. Il ne s’épargne aucun soin pour parvenir aux deux buts qu’il s’est assignés comme la seule justification admissible de ses années de déboires à Kœnigsberg, à Riga et à Paris : la grandiose représentation de Rienzi et l’acceptation du Hollandais Volant.

Enfin lui parvient du comte Redern la nouvelle que son Hollandais est retenu pour le théâtre de Berlin « en approbation de sa musique riche d’invention et d’effet. » Meyerbeer était encore intervenu. Wagner sent qu’il lui faut coûte que coûte exploiter cette passe heureuse et rentrer en Allemagne. Son beau-frère Avénarius, venu en aide bien des fois