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RICHARD WAGNER


durer jusqu’au moment de faire enfin voile vers Dresde. Suivis des suprêmes épaves de la rue du Helder, ils s’installent dans un petit logement sur cour, au no 14 de la rue Jacob. Et c’est Kietz encore qui subvient aux dépenses du ménage grâce aux pièces de cinq et de dix francs qu’il parvient à soutirer une à une d’un vieil oncle avare. « Durant cette période je montrais souvent, avec un orgueil joyeux, mes souliers qui n’étaient plus qu’un semblant de chaussures, car les semelles usées en avaient totalement disparu. » Pauvres souliers verts du jour de naissance !

On lisait pourtant beaucoup dans le petit cénacle de ces pauvres Allemands. Les Paroles d’un croyant, de l’abbé de Lamennais, était l’un des livres qu’ils discutaient fort ; et plus encore l’ouvrage de Proudhon : Qu’est-ce que la propriété, dont l’auteur, par une curieuse coïncidence, allait succéder aux Wagner dans leur appartement de la rue Jacob. Murs destinés à abriter la misère et ses révoltes.

Richard reprit donc les besognes affreuses qui coûtaient si cher au sentiment de son importance : les correspondances pour « l’Abendzeitung », les réductions d’opéras au piano. Halévy venait de donner sa Reine de Chypre avec un succès imprévu. Il fallait profiter de cette vogue pour accommoder la Reine à toute sorte de sauces musicales. Du moins eut-il la satisfaction d’entrer en relations personnelles avec l’auteur, dont il goûtait le talent sobre et vigoureux. C’était autre chose que les sirops de Donizetti ! Wagner alla le voir et surprit en train de déjeuner un homme que la gloire ennuyait et qui accusait Schlesinger de l’avoir organisée exprès pour le tourmenter. Les deux musiciens s’entendirent parfaitement sur la médiocrité du théâtre contemporain et l’avilissement du goût public. Et Halévy se montra toujours sympathique, depuis, aux compositions de son jeune confrère. Malheureusement cet intérêt demeura platonique et l’existence se poursuivit aussi calamiteuse rue Jacob qu’elle l’avait été rue du Helder.

On ne voulut même pas de Wagner comme choriste à l’Opéra, où il s’était présenté pour toucher trois francs par soir. Toute la petite colonie souffrait de la dureté du monde. Encouragé par Lehrs, Wagner se met à étudier l’histoire de l’ancienne Allemagne dans les ouvrages de Raumer. Aussitôt il en voit surgir des textes d’opéras et projette de mettre en