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UN MONDE NOUVEAU


tangible à travers le prisme de l’art. En dix jours, le texte est rédigé dans son entier ; en sept semaines, la musique achevée. Il court les bois, fait la cueillette des champignons, compose un poème à Minna qui lui a donné pour son jour de naissance une belle paire de souliers verts. Tout lui sourit un instant, même cette épouse si misérable et délaissée, son amour éteint, ces Parisiens de la banlieue, même Meyerbeer dont il s’est à tort méfié et qui est intervenu auprès de l’intendant des théâtres saxons en faveur de Rienzi. Si bien qu’au mois de juillet il reçoit enfin la nouvelle bouleversante, que son opéra est accepté à Dresde et qu’il sera joué, on l’espère, dans le courant de l’hiver prochain au Théâtre Royal.

Qu’importent désormais les privations, la pauvreté, tout ce passé français si dur à son amour-propre, puisque le soleil remonte à l’horizon d’Allemagne ! Le sentiment national se réveille en lui à la musique des lointaines trompettes de Rienzi. Cette lettre de l’intendant général a la valeur d’une réconciliation de Wagner avec son ingrate patrie. Il écrit à sa mère après des années de silence. Il explique sa vie, l’irrésistible appel de sa vocation, sa misère ; mais il n’incrimine personne, pas même ce Paris où il a conquis sa personnalité. Dresde — ville détestée et aimée — va devenir maintenant le tremplin d’où s’élancera sa nouvelle fortune.

Tout le distrait et l’enchante durant les semaines de cette convalescence morale, même le vieux Jadin, son propriétaire. Cet octogénaire royaliste et « légitimiste » qui hait Louis-Philippe, fait sa toilette tout nu dans une baignoire qu’il a installée au milieu de son jardin, et il confectionne lui-même ses perruques dont il possède une gamme « allant du blond juvénile au blanc vénérable », et qu’il porte selon l’humeur du jour. Hélas, il joue d’un piano-harpe de son invention, comme Brix joue de la flûte ; supplice nouveau.

Mais avec l’automne la gêne revient, car l’argent de Paul Foucher est mangé. Les tourments recommencent pour le pain quotidien. Si bien qu’en achevant de recopier la partition du Hollandais Volant, il la signe de ce cri : « Dans la nuit et la misère. Per aspera ad astra. Ainsi soit-il. » C’est le brave Kietz, cette fois, qui les tire d’affaire, en apportant 200 francs qu’il est arrivé à se procurer on ne sait comment. De quoi payer les dettes et rentrer à Paris, où il va falloir