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RICHARD WAGNER

Il voudrait rendre ses clefs au gérant de son appartement pour s’installer à la campagne, lorsqu’il apprend avec stupéfaction que le délai prévu pour dénoncer son bail étant dépassé d’un jour, sa propriétaire ne veut rien entendre et le tient pour responsable de son logement pendant encore un an. Après bien des angoisses et des démarches, le concierge déniche cependant une famille étrangère qui consent à sous-louer au musicien. Les Wagner se mettent donc aussitôt à la recherche d’une modeste villégiature. On leur indique l’étrange maison d’un vieux peintre dans la banlieue parisienne, entre Bellevue et Meudon[1]. Elle leur plaît, bien que les murs soient couverts de peintures abominables, œuvres de M. Jadin , propriétaire. Ils y emménagent sans délai emmenant avec eux leur pensionnaire flûtiste, M. Brix, dont la situation est maintenant aussi désespérée que la leur, mais qu’ils se refusent à abandonner. La gêne n’en est que plus intense. Elle l’est à tel point qu’un jour Richard erre toute une journée dans Paris la recherche d’une pièce de cent sous. Et comme il ne la trouve chez personne, il se traîne de nouveau sur ses jambes jusqu’à Meudon, où Minna guette son retour comme elle l’a tant de fois guetté des fenêtres de la rue du Helder. Il faut prendre à crédit chez l’épicier du village. Par bonheur, les 500 francs de Paul Foucher pour le Vaisseau Fantôme, tombent justement dans ces jours difficiles. On peut régler les fournisseurs et même louer un piano, instrument dont Wagner se privait depuis des mois.

Les principaux texles du poëme étant déjà notés, il décide d’entreprendre tout de suite la composition, mais il n’ose ouvrir le piano dans la crainte de se trouver le cerveau sec et le cœur vide. À peine s’est-il mis au travail que l’Air du Pilote lui vient d’un trait, puis le Chant des Fileuses. « Je ressentis une joie folle à constater que je savais encore composer. » Quel soulagement ! Alors c’est un renouveau de tout son être, une bonne humeur éclatante, car Wagner tient enfin le maître-œuvre de son architecture musicale et poétique : la réalité de l’irréel, le surhumain devenu naturel et

  1. La maison était située 3, avenue de Meudon (actuellement 27 avenue du Château). Le manuscrit du Vaisseau Fantôme porte, après le 3e acte : « Meudon, 22 août 1841, dans la nuit et les soucis. »