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RICHARD WAGNER


fameux. Mais, quoique reçu avec une grâce parfaitement noble par ce jeune homme de deux ans plus âgé que lui et déjà célèbre dans le monde entier, jamais Wagner ne se trouva la modestie voulue pour paraître en solliciteur. Liszt lui offrit deux billets pour le concert qu’il allait donner au bénéfice du monument Beethoven. Wagner les prit, assista au concert quelques semaines plus tard et en fit pour 1’ « Abendzeitung » de Dresde un compte rendu assez sévère. Sept ans devaient s’écouler encore avant que ces deux hommes de tempérament si différent sentissent brusquement qu’entre eux la rencontre s’était enfin produite. Mais en ce printemps de 1841, comment la terre de l’amitié se fût-elle découverte entre le plus brillant des pianistes et ce naufragé de la misère ? « Que ne pourrait être Liszt », s’écria celui-ci, « s’il n’était pas célèbre », c’est-à-dire un esclave ? Et comment eût-il pardonné au virtuose rappelé dix fois sur l’estrade après l’exécution des sonates de Beethoven, de se rasseoir devant son clavier pour jouer sa Fantaisie sur Robert le Diable après avoir prononcé à haute voix : « Je suis le serviteur du public, cela va sans dire. » Ce n’était pas seulement une opposition de caractères, mais un conflit intellectuel, une complète divergence d’esthétiques. Et pour Wagner il n’y avait aux péchés contre l’art et l’esprit aucune rémission.

La seule évocation de Beethoven lui donnait toujours des frissons d’enthousiasme. Et puisque le hasard faisait de lui un littérateur, pourquoi ne consacrerait-il pas son temps et son savoir à écrire une vie de Beethoven ? Une vie d’artiste, une vie romancée de grand artiste… (ces mots sont de lui). Anders l’y poussait, lui qui avait recueilli sur le maître une documentation énorme, inédite et telle qu’il ne s’en glanerait plus. Cela vaudrait mieux, assurément, que ses nouvelles journalistiques : « Le musicien défunt », « Divertissements parisiens », « Fatalités parisiennes », « Le musicien et la publicité » et toutes les correspondances de Paris qu’il rédigeait pour la Gazette Musicale et des journaux allemands. L’ouvrage serait du reste un monument à sa manière, en deux volumes ; il contiendrait la première liste complète et chronologique des ouvrages du maître, des exemples musicaux, des analyses soigneuses. Une année de travail et l’im-