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RICHARD WAGNER


trop mince un métronome qu’on hui avait prêté pour marquer des temps exacts des mouvements de son Rienzi et qu’il se proposait de restituer à son propriétaire. Les rues étaient pleines de brouillard. À peine eut-il fait quelques pas hors de chez lui que de la brume sortit le fantôme d’un énorme chien, L’homme et la bête restèrent face à face un instant, car ils s’étaient reconnus aussitôt. Mais, soit que Robber redoutât les coups de cet ancien maître qu’il pouvait croire sans âme, soit que Richard ait pensé voir dans cette apparition le Barbet de Méphisto, il n’avancèrent pas l’un vers l’autre avec plus d’amitié que le diable et le docteur Faust. Wagner marcha sur Robber le bras tendu et l’animal recula lentement. Tous deux se mirent alors à courir. Au coin des rues, le chien s’arrêtait avec inquiétude, puis voyant l’homme émerger du brouillard il repartait plus vite. Ils coururent longtemps, se guettant l’un l’autre, se perdant, se retrouvant pour se perdre de nouveau. Mais Robber disparut une dernière fois et ne reparut jamais. Wagner était arrivé devant l’église Saint-Roch. Il s’arrêta, essouffé, portant toujours son métronome. Son cœur se remplit d’amertume, et il vit dans cette rencontre et dans cette fuite un nouveau présage de malheur,

En effet, il ne rentra que le soir, bredouille. Minna l’attendait. Elle avait emprunté une somme modique au pensionnaire flûtiste, pour préparer à son mari un repas réconfortant… Hélas, il ne restait à qu’à se remettre aux « arrangements » et à la littérature, C’est ce qu’il fit. Il écrivit La fin d’un musicien à Paris, histoire d’une agonie. Et malgré tout, c’était le testament d’un croyant. Vaincu par la capitale de l’espérance et mourant de ses illusions perdues, un musicien allemand faisait sa profession de foi avant de rendre le dernier soupir. « Je crois à Dieu, à Mozart, à Beethoven, ainsi qu’à leurs disciples et à leurs apôtres ; je crois au Saint-Esprit et à la vérité d’un art un et indivisible ; je crois que cet art procède de Dieu et vit dans le cœur de tous les hommes éclairés… je crois que tous peuvent devenir bienheureux par cet art et qu’il est en conséquence permis à chacun de mourir de faim en le confessant ; je crois que j’ai été sur la terre un accord dissonant qui va trouver dans la mort une pure et magnifique résolution… »