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L’APPRENTISSAGE DE LA HAINE


positeur » ; « Une visite à Beethoven » ; « Un musicien allemand à Paris ». Wagner s’y venge des humiliations qu’il a subies.

« Pauvreté, dure indigence, compagne habituelle de l’artiste allemand, c’est à toi que j’adresse, en écrivant ces pieux souvenirs, cette invocation première… » Tel est l’exorde de la Visite à Beethoven. Visite du reste toute imaginaire et symbolique, puisque Wagner ne vit jamais son dieu. Mais il dépeint dans ces pages enflammées l’embroussaillé génie de la solitude. Et, le faisant parler de Fidélio et d’Adélaïde, il met dans sa bouche la profession de foi de Wagner lui-même sur la musique vocale. « La voix humaine est un instrument plus noble et plus beau que tout autre… Elle est l’interprète directe du cœur et traduit nos sensations abstraites et individuelles. Son domaine est donc essentiellement limité, mais ses manifestations sont toujours claires et précises. Eh bien, réunissez ces deux éléments ; traduisez les sentiments vagues et abrupts de la nature sauvage par le langage des instruments (de l’orchestre) en opposition avec les idées positives de l’âme, représentées par la voix humaine, et celle-ci exercera une influence lumineuse sur ceux-là, en réglant leur élan et en modérant leur violence. Alors le cœur, s’ouvrant à ces émotions complexes, agrandi et dilaté par ces pressentiments infinis et délicieux, accueillera avec ivresse, avec conviction, cette espèce de révélation intime d’un monde surnaturel. »

Exprimée en quelques lignes, voilà la doctrine d’un Wagner que la misère et l’indignation ont en peu de mois, profondément transformé. Jamais autant qu’à présent il ne s’est senti proche du maître sauvage et incompris qui lui montre le rocher du haut duquel on apprend à regarder sans vertige les tentations du monde. Ne pas se vendre, ne pas s’avilir, ne rien céder aux goûts faciles du public, ne pas flatter les mauvais maîtres. Il est sans pitié pour lui-même et pour cette pauvre Minna descendue au rang de femme de ménage. Car elle lave les planchers, fait le service et la cuisine de deux dames altemandes à qui les Wagner ont sous-loué la meilleure partie de leur appartement. Elles parties après quelques semaines de séJour, on déniche pour les remplacer un commis-voyageur, hélas joueur de flûte à ses moments