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CHAPITRE II

l’apprentissage de la haine


Dans la boutique de Brockhaus et Avénarius, située rue de Richelieu, à l’ombre même des murs de lat Bibliothèque Royale et à quelques pas de la rue Le Peletier où l’Opéra abrite son peuple hosti1e, Richard Wagner a trouvé un ami. C’est une homme d’une cinquantaine d’années, originaire de Bonn, un de ces obscurs et timides savants d’Allemagne, qui occupe à la Bibliothèque un petit emploi subalterne. Érudit musicographe, sans aucune ambition, sans l’ombre d’énergie, ce sage vivote : depuis longtemps déjà dans les grandes salles de la cité des livres, où il ne fait pas plus de bruit qu’un papillon nocturne. Personne ne sait rien de ce mystérieux travailleur, sinon qu’il traverse la vie dans un renoncement philosophique, ayant dépouillé tout rêve, toute illusion, et jusqu’à son nom. On l’appellé M. Aiders, c’est-à-dire M. Autrement, ce pseudonyme étant celui qu’il a imaginé pour mieux recouvrir d’oubli un passé qu’Avénarius disait brillant. D’une belle fortune disparue, il n’avait sauvé que sa collection de livres, et les murs de son petit logement de la rue de Seine se trouvaient tapissés de leurs reliures soignées. Ce compatriote de Beethoven et profond connaisseur de son œuvre, se prend vite d’amitié pour le jeune Saxon frais débarqué, et bientôt il lui amène son autre lui-même, M. Autrement bis, le philologue Lehrs.

Lehrs est un Allemand aussi, d’origine juive, que ses