Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
RICHARD WAGNER


orchestre, la Neuvième Symphonie de Beethoven, cette œuvre dont les Allemands disaient qu’elle était le gribouillage incompréhensible d’un fou. Pour Wagner, révélation inattendue, tragique, crise décisive qui va orienter sa conscience d’artiste. « Je vis tout à coup devant mes yeux l’image devinée dans mes rêves de jeunesse… Elle était maintenant claire comme le soleil et je pouvais la toucher de mes mains… La période décadente de mon goût, qui avait précisément commencé par le trouble où m’avait jeté l’exécution de l’œuvre de Beethoven (en Allemagne), et qui s’était malheureusement développée pendant mon insipide carrière de directeur de théâtre, prit fin dans la honte et le repentir… Je puis comparer cette émotion à celle que fit éprouver à l’adolescent de seize ans le Fidélio de Mme schrœder-Devrient. >

Mais la symphonie avec Chœurs, si elle est pour Wagner la tragédie du désespoir, est aussi le défilé par où doit passer l’artiste pour entrer « dans le monde de lumière sur le sol duquel s’épanouit la mélodie humaine ». Ainsi s’ouvre devant lui ce temps de misère et de découragement qui est comme le premier cercle de l’enfer où il faut descendre pour trouver le sentier qui conduit à soi-même.

Il fait dans Paris ces longues et sauvages promenades de l’étranger solitaire, qui se demande comment demain il achètera son pain. Aucune antichambre directoriale ne s’ouvre devant cet inconnu. Aucun éditeur ne veut de ses compositions. Les moins rébarbatifs lui donnent le conseil d’écrire des « galops » ou de rentrer dans son pays. Il court du Guignol des Champs-Élysées au « poulailler » de la Comédie-Française, dépense ses derniers sous en vaines tentatives. On lui indique les Monts-de-piété, dont il lisait les enseignes sans les comprendre sur leurs transparents lumineux, et il y apporte sa montre, sa pauvre argenterie, ses petits cadeaux de noce, puis les bijoux de Minna et jusqu’à sa garde-robe de théâtre. Pourtant il travaille toujours, mais désormais sans concession à personne puisqu’il ne se reconnaît p1us aucun maître dans cette ville qui ne s’est jamais donnée qu’aux forts. Soutenu par une volonté indestructible, il se met à une Ouverture pour Faust, chargée avant tout de lui rendre la foi en soi. Et il choisit comme épigraphe