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PARIS SOUS LE ROI-CITOYEN


Meyerbeer. Il était Allemand comme maître Jacob (Giacomo pour les affiches) ; peut-être, chose qu’il ne s’avoua jamais, peut-être avait-il aussi dans les veines, par Geyer, un peu de ce sang oriental auquel tant d’hommes du pays d’Israël doivent la finesse de leur sensibilité… Peut-être encore possédaient-ils en commun ce goût du romantisme dramatique de la nouvelle génération musicale, débarrassé de ses vocalises, mais trempé tout de même d’un italianisme viennois raffiné par Mozart. Et enfin, l’auteur de Robert le Diable et des Huguenots peut-être lui en imposait-il par l’autorité qui s’attache au succès, par sa maîtrise des choses du théâtre, son habileté de metteur en scène, son sens dramatique, sa sûreté dans le détail. Contrairement aux habitudes des auteurs français, rien chez lui n’était improvisé. Il mettait des années à travailler un opéra, à en remanier les mouvements, à en choisir les chanteurs, et lorsqu’enfin le rideau se levait sur l’une de ses pièces nouvelles, la mise au point était tellement parfaite, le triomphe si certain, qu’il nc restait qu’à courir d’un trait jusqu’à la centième représentation. Cela aussi était scientifique, sérieux. Mais, bien que Wagner méprisât de toute sa jeune foi cet art à effet, qu’il fût même tenté de le réduire « au zéro absolu », il apprit de « M. Meyer-Beer » une chose essentielle : la nécessité pour le musicien de trouver, fût-ce malgré lui et comme sans y penser, une situation réellement poétique ; c’est-à-dire une image, une parole sortie du cœur qui fasse passer chez le compositeur ce souffle inspiré par lequel il parviendra à « l’expression musicale la plus riche, la plus noble et la plus émouvante ». Et il cite en exemple la scène d’amour des Huguenots, la trouvaille « de cette mélodie en sol bémol majeur merveilleusement expressive… Il n’y a que peu de chose, parmi les productions les plus parfaites de la musique, qui puisse lui être comparé ». Mais unc rencontre si parfaite entre l’imagination du poëte et le génie créateur du musicien est trop hasardeuse pour n’être pas exceptionnelle. Toute collaboration soutenue entre le compositeur et le librettiste est donc impossible. L’erreur de l’opéra repose dans cette confusion : d’un moyen d’expression (la musique), on a fait le but ; et le but de l’expression (le drame) est devenu le moyen. Cette idée encore obscure est pourtant le germe de tout l’avenir lyrique. Si l’opéra est une combinaison hybride et antina-