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Ironie du sort !… ce serait pour refaire cela, ici, qu’il aurait déserté la terre paternelle ; ce serait pour se faire l’« engagé » d’un fermier quelconque ou garçon de ferme dans une métairie de province avec juste assez de sa soupe et de son morceau de pain quotidien, qu’il aurait refusé de devenir chez lui, un cultivateur à l’aise et honorable !… Non, non, mille fois non ! Tout plutôt que cela. Il serait débardeur encore une fois, s’il le faut, casseur de cailloux sur les grandes routes, manœuvre, mineur, tout enfin ; au moins, ces métiers-là ne lui rappelleraient pas, comme dans une ferme, l’incommensurable folie qu’il a faite en quittant « sa » terre du Saguenay, sa pauvre terre si bonne pour lui, si maternelle et qui, aujourd’hui, comme depuis deux ans, avec ses parfums, avec ses couleurs alternatives d’épis mûrs ou de jeune verdure, avec les plaintes si discrètement touchantes qu’elle rend sous les morsures du soc ou de la herse, réclame de toute son âme, son enfant…

Et à partir de là, ce ne fut pour notre émigré que travaux irréguliers, ici et là, partout, trouvés au hasard de courses à l’aventure, toujours ingrats, sans plaisir, accomplis machinalement pour tuer le temps, pour étouffer l’ennui, et aussi pour apaiser la faim… Parce que on n’a pas ce que l’on désire, ce n’est pas une raison pour se laisser crever de faim !…