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LE FRANÇAIS

un peu du ciel et le ciel complet serait d’y rester. Mais je n’ai pas d’argent et ne puis vous payer vos bons soins. Laissez-moi aller m’en gagner et dites-moi seulement où je puis avoir du travail en cultivant comme j’ai toujours fait dans mon pays avant que j’aie fait la guerre…

« Ah !… ah !… ah !… mais, comme ça s’adonne, jeune homme ! » s’exclama, joyeux, Jean-Baptiste Morel, « comme ça s’adonne ; tu sais cultiver la terre et t’as été à la guerre !… Ce serait curieux qu’t’aies connu mon garçon, là-bas, hein ?… Il s’appelait le sergent Joseph Morel. C’était mon seul garçon et c’est à lui que revenait ma terre, moi mort… » Et le fermier ajouta, subitement triste : « C’est lui qui m’a laissé le premier et me voilà sur ma terre avec ma fille. Tu comprends que je commence à faiblir à la faulx et à la charrue et il m’faut de l’aide. Mais les engagés sont rares, c’est effrayant. Ça fait que si ça continue, j’m’verrai obligé d’vendre ma terre qu’a été défrichée par défunt mon pauv’père et qu’il m’a laissée en m’disant d’y prendre bien garde, de l’améliorer, de l’agrandir, si c’était possible… Vois-tu, jeune homme, mon père est mort, ici, dans cette chambre…  »

Jean-Baptiste Morel allait instinctivement recommencer toute la litanie de ses éternelles doléances… Il s’en aperçut et revint à Léon Lambert : « Pour lors donc, si t’aime à cultiver la terre et si tu te déplais pas, ici, en not’ compagnie, t’as qu’à rester, je n’demande pas mieux et j’crois qu’on va s’accorder. Tu m’aideras en attendant mon gendre…