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Richesse porte un vêtement constellé de pierreries. Les diamants, les saphirs, les émeraudes, les topazes ruissellent sur toute sa personne. Sur sa tête altière, un oiseau au plumage multicolore, aux yeux de rubis, semble prêt à s’envoler pour aller rejoindre ceux qui l’appellent, l’ayant pris pour l’un d’eux. Elle est belle !

La fée Médiocrité est plus modeste dans ses allures. Elle porte une robe de soie grise, ses cheveux lisses ne supportent aucun ornement. Ses bijoux sont en similor. Elle tient à la main un volume dans lequel un poète fait son éloge. Elle est jolie !

Misère est drapée dans des haillons de couleur indécise. Ses cheveux courts tombent en désordre sur son front et voilent ses yeux. Ses mains, qui ont dû être fines et blanches, sont rugueuses et abîmées par le travail. Est-elle bien, est-elle mal ? Elle est pauvre !

Arrivées en même temps au milieu du rond-point, les trois fées jettent chacune un cri de surprise.

— Que fais-tu ici, mignonne ? dit Richesse à Médiocrité.

— Je viens voir passer la chasse. Et toi, Richesse, comment es-tu au point du jour dans la forêt ?

— Pour voir passer le Roi ! Mais toi, Misère, est-ce pour la chasse ou pour le Roi que tu rôdes ainsi dans le bois en cet accoutrement ?

— Ni pour la chasse, ni pour le Roi. Tu as un palais, Richesse ; une maison, Médiocrité. Misère a une cabane, et elle cherche du bois pour se chauffer.

— Pauvre Misère ! exclamèrent les deux fées. Viens avec nous.

— Pas si pauvre que vous le croyez. Cette forêt m’appartient tout entière. J’y trouve l’ombre, la fraîcheur, le repos. Ses bruits mystérieux chantent dans mon cœur. Tout est à moi : l’arbre, la mousse, les fleurs. Les petits musiciens ambulants perchés au-dessus de ma tête me donnent gratuitement des aubades que j’entends enveloppée de mes haillons, mollement couchée sur un lit de bruyères aux fleurs rosées, en cueillant autour de moi des fraises parfumées, jouissant ainsi des sublimes et grandioses beautés que la nature offre au pauvre comme au riche.

— Sois heureuse à ta manière, moi je ne changerais pas mon sort contre le tien, dit Richesse.

— Ni moi non plus, confirma Médiocrité.

— Si tu n’étais pas fée, tu parlerais autrement.

— Eh bien, dit Misère, adoptons chacune une fillette d’une dizaine d’années, élevons-la selon notre condition, et, dans dix ans, nous nous réunirons ici, à pareil jour, avec nos pupilles, et nous verrons laquelle sera la plus satisfaite de son sort.