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sculpté représentant, sur toute sa longueur, six anges tenant des écussons portant des fleurs de lis. Ces sculptures sont extrêmement remarquables, et malgré l’épaisse couche de badigeon qui les encroûte et en cache la finesse, tout en les préservant cependant des injures du temps, on s’aperçoit facilement que c’est une main habile, exercée, qui a fouillé le bois pour en faire sortir des têtes si finement modelées, des arabesques si légères.

Cette œuvre d’art si remarquable, ornant une maison sordide, excite la curiosité, et l’on se demande comment ce luxe artistique s’est allié à tant de misère. Je crois pouvoir vous le dire,

Écoutez :

Au milieu du XVIIIe siècle, la maison de la rue des Ciseaux était occupée par Nicolas Geerolfs, maître-menuisier, par sa femme Martine et leur fille Liévine. Geerolfs était un de ces vieux Flamands pour qui l’attachement au sol natal et aux libertés communales était un culte. L’honneur de la corporation à laquelle il appartenait lui était aussi cher que le sien propre. L’ordre le plus parfait régnait dans son modeste intérieur. Cette austérité était heureusement tempérée par la bonhomie, la bonté si prévoyante de Martine. Mais ce qui ensoleillait la demeure du menuisier, ce qui la rendait resplendissante entre toutes, ce qui la faisait envier à l’égal d’un palais, c’était l’éclat qu’y répandait la beauté sereine et pure de Liévine. Ce n’était pas peu de chose d’être proclamée, comme elle, la plus jolie fille dans une ville renommée pour la beauté de ses femmes.

Liévine était grande, élancée ; ses cheveux bruns encadraient un front blanc, élevé, intelligent ; ses yeux noirs, quand ils ne jetaient pas d’étincelles, étaient doux et veloutés. Sa bouche était un peu grande, mais elle laissait voir des dents si blanches, si bien rangées qu’on ne l’aurait pas désirée plus petite ; enfin l’ensemble du visage respirait la force tempérée de douceur, le courage, la persévérance dans le devoir, la loyauté, la tendresse et l’honnêteté invincible. Un tel joyau ne se peut cacher longtemps. À peine Liévine avait-elle dix-huit ans que tous les godelureaux de la ville venaient pour se mirer dans ses beaux yeux ; mais ils ne faisaient que brûler à leur flamme ce qui leur restait d’ailes. La jeune fille ne se laissait pas atteindre par les incendies qu’elle allumait.

Dire qu’elle était entièrement insensible aux hommages qu’on rendait à sa beauté, ce serait en faire une créature trop immatérielle ; mais sa mère lui avait répété souvent qu’une honnête femme ne pouvait aimer qu’une fois, qu’il n’en était point du partage du cœur comme de celui d’un dîner, où dès qu’il y en a pour deux il y en a pour trois, et Liévine,