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en ce qui concerne l’interpolation, ce sont là des sacrifices auxquels on pourrait se résigner.

Mais, je l’ai dit plus haut, ce ne serait pas seulement de ces sacrifices partiels qu’il s’agirait, ce serait la science tout entière dont la légitimité serait révoquée en doute.

Je vois bien ce qu’on pourrait dire : « Nous sommes ignorants et pourtant nous devons agir. Pour agir, nous n’avons pas le temps de nous livrer à une enquête suffisante pour dissiper notre ignorance ; d’ailleurs, une pareille enquête exigerait un temps infini. Nous devons donc nous décider sans savoir ; il faut bien le faire au petit bonheur et suivre des règles sans trop y croire. Ce que je sais, ce n’est pas que telle chose est vraie, mais que le mieux pour moi est encore d’agir comme si elle était vraie ». Le calcul des probabilités, et par conséquent la science, n’aurait plus qu’une valeur pratique.

Malheureusement la difficulté ne disparaît pas ainsi : un joueur veut tenter un coup ; il me demande conseil. Si je le lui donne, je m’inspirerai du calcul des probabilités, mais je ne lui garantirai pas le succès. C’est là ce que j’appellerai la probabilité subjective. Dans ce cas, on pourrait se contenter de l’explication que je viens d’esquisser. Mais je suppose qu’un observateur assiste au jeu, qu’il en note tous les coups et que le jeu se prolonge longtemps ; quand il fera le relevé de son carnet, il constatera que les événements se sont répartis conformément aux lois du calcul des pro-