Page:Poincaré - La Science et l’Hypothèse.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.

montrer que notre convention était légitime, et nous nous retrouverons en face de la difficulté que nous avions cru éluder.

Dira-t-on que le bon sens suffit pour nous apprendre quelle convention il faut faire ? Hélas ! M. Bertrand s’est amusé à traiter un problème simple : « quelle est la probabilité pour que, dans une circonférence, une corde soit plus grande que le côté du triangle équilatéral inscrit ? » L’illustre géomètre a adopté successivement deux conventions que le bon sens semblait également imposer, et il a trouvé avec l’une , avec l’autre .

La conclusion qui semble résulter de tout cela, c’est que le calcul des probabilités est une science vaine, qu’il faut se défier de cet instinct obscur que nous nommions bon sens et auquel nous demandions de légitimer nos conventions.

Mais, cette conclusion, nous ne pouvons non plus y souscrire ; cet instinct obscur, nous ne pouvons nous en passer ; sans lui la science serait impossible, sans lui nous ne pourrions ni découvrir une loi, ni l’appliquer. Avons-nous le droit, par exemple, d’énoncer la loi de Newton ? Sans doute, de nombreuses observations sont en concordance avec elle ; mais n’est-ce pas là un simple effet du hasard ? Comment savons-nous d’ailleurs si cette loi, vraie depuis tant de siècles, le sera encore l’an prochain ? À cette objection, vous ne trouverez rien à répondre, sinon : « Cela est bien peu probable ».